Les choses ont bien changé depuis l’époque où les Noirs fuyaient l’esclavage du Sud des États-Unis et se réfugiaient au Canada. Grâce au Chemin de fer clandestin (un réseau secret d’abolitionnistes), plus de 40 000 esclaves ont pu respirer l’air de la liberté du Canada. Or, aujourd’hui, il est inquiétant de constater que des politiciens canadiens et québécois préfèrent fermer la porte à des personnes qui subissent des conditions inhumaines.
Pour ceux qui ne le savaient pas, depuis samedi à minuit, le chemin Roxham (Roxham Road), un passage qu’utilisaient les migrants pour entrer au Canada, est officiellement fermé.
La fermeture de ce passage représente certes un dur coup pour ces gens en quête d’une vie meilleure, mais également pour la tolérance, qui favorise la liberté et la diversité dans une société.
On se doutait bien que depuis que le président américain Joe Biden a posé les pieds sur le sol canadien, le premier ministre Justin Trudeau et lui concluraient un accord concernant le chemin Roxham, mais pas un accord aussi prompt et brutal.
Je me demande à quel point il est difficile pour M. Trudeau de réaliser que les demandeurs d’asile qui empruntent le chemin Roxham pour entrer dans son pays sont en réelle difficulté.
Pourtant, le 28 janvier 2017, il a déclaré sur son compte Twitter : « À ceux qui fuient la persécution, la guerre et la terreur, le Canada vous accueillera… »
S’agissait-il d’un coup de publicité afin d’établir le Canada comme terre d’accueil par excellence, comme « le plus meilleur pays du monde », comme l’avait dit fièrement l’ancien premier ministre Jean Chrétien ?
De qui parlait-il, au fait ?
De toute évidence, M. Trudeau ne faisait pas allusion aux demandeurs d’asile congolais qui ont fui la guerre qui sévit dans l’est de la République démocratique du Congo.
Il ne parlait pas non plus des migrants haïtiens qui ont peut-être échappé de justesse aux violences physiques et économiques de Port-au-Prince.
Mais à qui s’adressait-il alors ? Des victimes de persécution ou de guerre qui lui ressemblent un peu plus ?
Sans vouloir me positionner en faiseur de morale, je rappelle aux politiciens occidentaux que l’humanisme n’a pas de couleur ni de frontières.
Autrement dit, on ne peut pas ouvrir notre cœur aux enfants ukrainiens et fermer nos frontières à ceux qui viennent d’Haïti et de la République démocratique du Congo, des pays en détresse.
Il me semble incongru que le peuple canadien soutienne cette politique des deux poids, deux mesures et ce favoritisme associé à l’eugénisme.
Quant à la population québécoise, je comprends son inquiétude liée au fardeau économique que représentent les nombreux migrants qui franchissent la frontière via le chemin Roxham. Cependant, lorsqu’on inclut dans le débat la protection de la langue française, on me perd.
Nul plus que moi n’accorde une importance au respect des langues nationales ; toutefois, je porte une attention fondamentale à la dignité et la vie humaine.
Permettez-moi de conclure en vous dévoilant une partie plutôt douloureuse de mon enfance.
Dans les années 1980, j’ai assisté à plusieurs événements relatifs à l’immigration dans la communauté haïtienne.
J’ai vu mes parents verser des larmes lorsque des proches de la famille étaient refoulés par Immigration Canada, à l’aéroport de Mirabel.
J’ai vu des grand-cousins courir dans la neige sans tenue vestimentaire hivernale quand des inspecteurs d’Immigration Canada ont frappé à la porte de notre appartement qui abritait trois personnes sans papiers.
J’ai même vu des gens en pleurs, étendus sur le sol de la grande salle de l’organisme communautaire BCHM, manifester leur peine concernant une éventuelle déportation en raison de leur situation irrégulière dans la province.
Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est lorsque j’ai vu, dans les nouvelles à la télévision, la photo d’un karatéka nommé Pierrot Innocent, qui a préféré se mettre la corde au cou, dans la salle où il pratiquait son sport, plutôt que d’être expulsé du Canada et renvoyé en Haïti, pays ravagé par l’impérialisme américain et le colonialisme.
Bref, comme tant d’autres, j’ai vu beaucoup de choses qui ont attristé la communauté noire.
Et si ces politiciens occidentaux élargissaient leurs champs de vision, ils comprendraient mieux la réalité des migrants, et cet accord inhumain concernant le chemin Roxham ne serait pas signé.
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