Opinions

Les sections VIP et le service de bouteilles ont tué les clubs noirs de Montréal


Un SOS lancé par une membre du groupe Black Business Atlas, qui déplore la disparition des clubs noirs, est à l’origine de ce texte. Bien que les artifices publicitaires des organisateurs d’événements nous apportent parfois une lueur d’espoir, il faut bien se rendre à l’évidence : le nightlife de la communauté noire n’a pas pu être maintenu en vie. Il est bel et bien mort. Rideau.

Dans son cri du cœur qui a été lancé durant le temps des Fêtes, la jeune femme (Tarra Banks) a écrit la phrase suivante sur la plateforme Black Business Atlas : « Svp, ramenez Délima, Vetiver et Essence, je me ramasse au Shakers là… »

L’avènement du « Day Party »

Que s’est-il réellement passé ?

En termes plus clairs, qu’est-il arrivé aux Safari, Vetiver, Délima, D-Lounge, Havana Club de ce monde ?

Impossible de faire l’autopsie des défunts clubs noirs, qui ont fait vibrer la métropole, sans mettre en cause la culture du service de bouteilles et du « VIP », qui a vu le jour à la boîte de nuit Les Bains Douches, à Paris, en 1988.

Certes, le vieillissement des générations X et Y, qui aimaient bouger et danser, constitue un facteur important de la défaillance des activités nocturnes des Afro-Montréalais. Cependant, l’élitisme et le clientélisme, qui ont été intégrés dans l’industrie des bars, ont fait mal aux boîtes de nuit de la communauté noire.

La danse et la fête, qui représentent l’essence même des boîtes de nuit, ont fait place à l’apanage du statut social. Qui plus est, la fête ne se déroule plus nuitamment, mais bien en plein jour. Sous le soleil d’été où les seaux à glace remplis de spiritueux peuvent briller.

Ce travestissement a donné naissance à un néologisme emprunté à la langue de Shakespeare : le « Day Party ».

Bien loin de moi l’idée de vouloir avilir la présence de ces fêtes champêtres, mais un fait demeure : aux clubs Motion, Soul Heaven, Klimax, Safari, Délima et D-Lounge, les gens s’amusaient avec beaucoup moins d’inhibition et ne se cachaient pas du public en s’isolant dans une section privée, plus communément appelée « section VIP ».

Quand la communauté noire ne danse plus

En effet, aujourd’hui, la communauté noire danse de moins en moins et frime encore plus. Elle s’est particulièrement montrée perméable à l’implantation du concept du service de bouteilles et des sections « VIP », où l’accès est interdit à ceux et celles qui n’ont pas payé un prix exorbitant aux organisateurs des soirées.

Qu’en est-il de la bonne musique, de l’humeur festive et des pas de danse caractérisés par de la créativité ?

Pourquoi tant vouloir participer à la pluie de dollars en faisant l’achat de traitement privilégié dans les boîtes de nuit ?

L’ironie de la chose, c’est que plusieurs envient la communauté noire pour sa facilité à utiliser la danse comme moyen d’expression.

En 2015, alors que je me trouvais au Soubois, une boîte de nuit branchée du centre-ville, une conversation que j’ai eue avec un client de l’établissement m’a fait prendre conscience de l’ampleur de ce phénomène.

Il était 1 h 30, quand Pedro, un ingénieur dans la quarantaine, est venu me parler, avec la certitude que je faisais partie des meubles. Ses deux amis et lui en étaient déjà à leur quatrième bouteille de Grey Goose.

« Tout cet alcool ne vous rend pas saoul, Pedro ? », lui ai-je demandé.

« Non, pas du tout ! » m’a répondu le fêtard d’origine argentine. « En réalité, je ne suis pas un grand buveur. Ces bouteilles me permettent d’attirer l’attention, car je ne sais pas danser », a-t-il ajouté, avant d’offrir une gorgée de son Grey Goose à P. K. Subban et Alex Galchenyuk, qui slalomaient le long du couloir menant à la cabine du DJ.

Disons que le DJ n’était là que par formalité, car personne ne dansait. La piste de danse ressemblait plutôt à un rassemblement de frimeurs qui étalaient leurs biens (bouteilles d’alcool) ambulatoires.

Aprés avoir constaté cette nouvelle tendance, je savais que la culture du service à la bouteille allait se faufiler dans ma communauté. Mais je n’aurais jamais cru que nous renoncerions à notre richesse culturelle pour tomber dans le piège du m’as-tu-vu.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

1 Commentaire

  1. Je me souviens de l’époque de Delima, South Beach, Havana, le nom avant Kisslounge… bref c’était le bon temps car les gens dansaient, on s’amusait et les dj étaient in point. Maintenant, les gens passent leur temps à filmer , filmer les gens autour d’eux, se filmer eux-mêmes pour des stories et des views. Les promoteurs utilisent près de la moitié de la capacité pour vendre des billets VIP où les gens sont assis sur des tables rondes avec une nappe et coincés comme des sardines pour finalement passer la soirée assis à leur table. Sérieusement, c’est du n’importe quoi et le back in the days nightlife me manquent car c’était fun, on sortait pour s’amuser. Maintenant les gens sortent pour s’exhiber et se montrer sur les réseaux. J’avais oublié les DJ qui jouent toujours les mêmes Beats over and over again ..Je me souviens que back in the days, c’est dans les clubs que je découvrais de nouveau Beats… maintenant, je suis capable de deviner la.prochaine chanson tellement leur répertoire est similaire entre eux et répétitifs. Ça aussi ça affecte l’ambiance

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