Je vous parle d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. Je ne peux pas dire qu’il s’agissait des plus beaux jours de la communauté haïtienne de Montréal, mais quelque chose de merveilleux se produisait quand nous nous rassemblions dans le parc du Père-Marquette pour applaudir nos joueurs de football, durant les années 1980 et 1990.
C’était le bon vieux temps. Et malgré le racisme et l’anti-haïtianisme qui sévissaient dans la métropole, les Montréalais d’origine haïtienne trouvaient le moyen de se détendre et se changer les idées grâce à des activités sociales, culturelles et même sportives.
Notez que je n’aborde pas ce texte avec un regard nostalgique, mais bien avec l’idée de graver dans la mémoire collective l’apport incommensurable de certaines personnes de ma communauté.
Non, je mens. Je dois avouer que mon attachement à l’histoire me plonge parfois dans la tristesse et la nostalgie. Je dis cela en pensant aux regrettés Jean Aurélien, Vladimir Jeanty et Marc Evens Absalon.
Je pense également à Jean-Claude Fonrose, Max-Louis Rosalbert ainsi que Frantz « Fanfan » Turenne, des gens pour qui le ballon rond était une passion et rassembler les membres de leur communauté au parc du Père-Marquette était un devoir.
Afin de vous décrire l’ambiance qui régnait dans le parc du Père-Marquette, permettez-moi de vous raconter l’un de mes plus beaux moments du championnat de soccer haïtien.
Un samedi après-midi, à l’été 1984, mon ami Ridley et moi avons décidé de nous rendre au 6970, rue Marquette, l’adresse la plus célèbre dans la communauté haïtienne à l’époque. Il s’agit bien du BCHM. Sous la supervision de Raymond Cadet (ancien champion d’Haïti de tennis de table), nous avons passé des heures à travailler sur nos lacunes au ping-pong, pour reprendre ce terme familier.
Aux alentours de 16 h 30, nous nous dépêchions de nous rendre au marché De France, qui se trouvait juste à côté. Comme à l’habitude, Pierre nous a servi notre bouteille d’AK-100, notre boisson préférée. Par notre empressement, le propriétaire de cet ancien marché de produits haïtiens savait que c’était le week-end, et que notre esprit était déjà au parc du Père-Marquette.
Et comment ! Le Dix-Sept et Montréal-Nord, deux grands rivaux du football montréalais, s’affrontaient !
À peine arrivés dans le parc, nous apercevons Eddie Badjo qui exécute un amorti de la poitrine, et puis court avec le ballon sur le flanc gauche. Après avoir contourné deux défenseurs nord-montréalais, il tire au but.
Le gardien n’a rien vu. Nous non plus, d’ailleurs. Un autre tour de magie de l’espoir du Québec, comme l’avait qualifié naïvement Francis Milien (rires), qui procure la victoire au club Dix-Sept, sous un tonnerre d’applaudissements.
En attendant le deuxième match, au son d’un morceau de Sakah Shah, les spectateurs se sont alignés à la queue leu leu devant Jean-Guy « Pâté » pour grignoter ses pâtés. L’initiative à caractère entrepreneurial de Jean-Guy a ajouté de l’épice au menu du championnat, qui était déjà riche en saveurs.
Ah, oui, j’allais oublier. Billy Coq, le prétendu hougan, faisait aussi partie du décor. Toujours souriant, ce personnage sympathique et attachant divertissait le public en invoquant ses « lwas » en faveur de ses équipes préférées. Comme le dit Giordani Joseph, du groupe Tropicana, même un match de football est lié à la superstition.
Que de beaux souvenirs !
Depuis que ma mère m’avait amené voir Pelé au Stade Sylvio-Cator, dans un match entre le Cosmos de New York et le Violette, j’ai eu la piqûre, et je n’ai pas manqué un seul match du Manic de Montréal, lors de ses deux premières saisons au Stade olympique.
Cependant, bien que j’aie aimé les dribles de Thompson Usiyan et les tirs puissants de Gordon Hill, j’étais plus émerveillé par la prestance et la remarquable assurance au jeu de William Beaudin.
Je me souviens de Robens « Roro » Dorsonne, des frères Jean-Louis, des frères Guillaume, d’Harold « Satan » Pierre, un gentil homme qui prenait au sérieux son rôle de méchant sur le terrain.
Je me souviens également du puissant Play-Boy et de ses deux têtes d’affiche : Yves Joseph et Michelet Duchâtelier.
Mon équipe préférée était le B-Tops, car la majorité de ses joueurs était composée d’anciens élèves de Georges-Vanier, mon école secondaire.
Le plus beau but que j’aie vu au parc du Père-Marquette a été inscrit par Arthur Calixte, lors d’un match opposant la sélection montréalaise à celle des Bostonnais. Grâce à une magnifique passe de Windsor Vertus, qui s’était inspiré de Philippe Vorbe, celui qui était considéré comme le meilleur joueur de la ligue avait soulevé la foule, qui s’était déjà imprégnée de l’ambiance festive de cette soirée inoubliable.
J’ai eu le privilège de suivre depuis l’enfance l’ascension de Windsor Vertus. Tout comme celle de Wider Janvier, de Kerby et Nixon Phanor, qui ont également foulé le mythique terrain de foot du quartier Rosemont.
À vrai dire, à cette époque, presque tous les membres de la communauté haïtienne se connaissaient. Et j’avais toujours l’impression que plusieurs se servaient du football pour discuter d’Haïti et du régime jeanclaudiste. D’autres étaient là pour faire des rencontres amoureuses.
En effet, venant de partout dans la métropole, les jeunes filles se faisaient belles et les jeunes gens étaient joliment parfumés. Leur tenue était si soignée qu’on aurait cru assister à un défilé de mode… dans un stade de football.
Quand j’habitais dans le quartier Côte-des-Neiges, je faisais le voyage dans la voiture Audi des frères Cantave (Georges, Hugo et Gérald). Hugo était la star du club Tivoli, et j’étais fier que ces sympathiques voisins me considérassent comme leur petit frère.
En fait, ce n’est pas compliqué : à cette époque, la communauté haïtienne de Montréal s’épanouissait dans un esprit familial et fraternel.
Autrement dit, dans les années 1980, la communauté haïtienne, ça voulait dire que nous étions tous frères et sœurs, et le parc du Père-Marquette, ça voulait dire que nous étions heureux.
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