Société

Le sénateur haïtien Émile Saint-Lôt et l’origine du terme « Tonton Macoute »


Dans mon article « Et si Haïti n’avait pas libéré la Libye ? », publié en 2017, je vous avais parlé du rôle central qu’a joué le sénateur haïtien Émile Saint-Lôt dans l’indépendance de la Libye. Or, aujourd’hui, je reviens sur ce brillant ambassadeur afin de situer l’origine du terme « Tonton Macoute », qui est régulièrement utilisé pour décrire l’une des périodes les plus sombres de l’histoire d’Haïti.

Qu’il s’agisse de Ti Bobo et Boss Pent à Port-au-Prince, de Chimaine et Adherbal Lhérisson au Cap-Haïtien, ou de Madame Max Adolphe (Rosalie Bosquet) à la prison du Fort Dimanche, les Tontons Macoutes brutalisaient et terrorisaient la population civile haïtienne durant les années 1960 et 1970.

Comme le Bonhomme Sept Heures au Québec

Portant le plus souvent un ensemble bleu, des lunettes noires et des pistolets, les membres des Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN), qui protégeaient le pouvoir des dictateurs François et Jean-Claude Duvalier, restent gravés dans l’esprit collectif des Haïtiens.

Cette milice paramilitaire a été responsable de l’assassinat de dizaines de milliers de citoyens, sans oublier les cas de viol et de pillage.

Cependant, il importe de savoir que le nom Tonton Macoute ne provient pas du régime dictatorial des Duvalier.

Ce terme remonte à longtemps, soit au début des années 1900.

À l’origine, il désignait un personnage fictif, portant un costume bleu et rouge et un grand sac en bandoulière appelé « macoute », que les adultes utilisaient pour faire peur aux jeunes enfants afin qu’ils se comportent bien.

Tout comme le Bonhomme Sept Heures au Québec et le Boogeyman aux États-Unis ainsi qu’en Europe, le Tonton Macoute était censé ramasser les enfants qui n’étaient pas sages et qui ne voulaient pas dormir.

Mieux, c’était le lougarou qui faisait peur.

L’invasion qui a tout changé

Or, en juillet 1958, soit 10 mois après son ascension au pouvoir, François Duvalier connaît sa première tentative de coup d’État, qui a été perpétrée nuitamment par le capitaine Alix Pasquet et les lieutenants Henri Perpignan et Philippe Dominique, qui avaient été exilés aux États-Unis.

Ces anciens officiers des Forces Armées d’Haïti (FADH) étaient accompagnés de cinq mercenaires américains.

Et pour la petite histoire, précisons que le capitaine Alix Pasquet était le père du premier époux de l’ancienne première dame d’Haïti Michele Bennett, et que le lieutenant Philippe Dominique était le grand frère du journaliste Jean Dominique.

À la suite de ce coup d’État manqué, qui constituait un précédent dans l’histoire d’Haïti, François Duvalier, profondément animé par l’esprit de machiavélisme, créa avec l’aide de Clément Barbot, sa milice redoutable : les Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN).

Le ras-le-bol d’Émile Saint-Lôt

Au début de ce système de répression, le modus operandi des volontaires de Duvalier était particulier : sortir le soir, cagoulés, afin d’aller intimider les opposants du nouveau président, dont la classe intellectuelle et les partisans de Louis Déjoie, candidat à la présidence au cours de l’élection de 1957.

Ces cagoulards, qui se servaient du véhicule allemand DKW pour ramasser les prétendus ennemis de Duvalier, n’étaient pas encore connus sous le nom qui les caractérisait.

Or, un soir, ils se mirent à rôder devant la maison du sénateur Émile Saint-Lôt, au quartier chic Bas-peu-de-Chose. Irrité par le comportement intimidateur des hommes de Duvalier, Sain-Lôt, qui fut le premier ambassadeur d’Haïti aux Nations-Unies, a déclaré ce qui suit :

« Mwen pa yon ti moun piti pou tonton makout panse yo ka vinn fèm pè non ».

Donc, pour le traduire en français, en apercevant les vauriens devant sa maison, Émile Saint-Lôt a simplement dit : « je ne suis pas un enfant à qui des Tontons Macoutes pensent pouvoir faire peur ».

Le brillant sénateur Émile Saint-Lôt

C’était la première fois qu’une personne utilisait le terme Tonton Macoute pour décrire à juste titre les sanguinaires de Duvalier.

Contrairement à certaines croyances, l’ancien journaliste Georges J. Petit, du Journal l’Indépendance, n’a pas été le premier à qualifier les volontaires de Duvalier de macoutes.

Cependant, force est de reconnaître qu’il a été celui qui a popularisé le terme qui définissait le mieux les membres du VSN.

En effet, après avoir vertement critiqué dans son journal les cagoulards, qui avaient sauvagement tabassé et violé la journaliste Yvonne Akim-Rimpel ainsi que ses deux filles, Georges J. Petit a conclu son article en appuyant la déclaration d’Émile Saint-Lôt : « le comportement de ces voyous montre réellement qu’ils sont de vrais tontons macoutes ».

Selon les historiens, Yvonne Akim-Rimpel fut la première victime des membres des Volontaires de la Sécurité Nationale de Duvalier.

Et un fait que beaucoup ignorent, c’est que Georges J. Petit était le frère du major Vir Lhérisson, donc par le fait même, l’oncle du macoute notoire Adherbal Lhérisson.

C’est là une pénible antinomie entre un membre d’une famille qui veut défendre les citoyens de sa patrie et un autre qui veut protéger le pouvoir du dictateur de son pays.

Osons le dire : la dislocation du tissu fraternel des Haïtiens a commencé avec l’arrivée de François Duvalier au pouvoir.

Pour conclure, aux nostalgiques de l’époque duvaliérienne, qui ne cessent de comparer l’Haïti d’aujourd’hui à celle des années 1960 et 1970, je vous rappelle que le VSN a été le gang le plus craint et dangereux de l’histoire du pays.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

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