Culture

Kanaval : un film poignant qui revisite la réalité de la diaspora haïtienne du Québec dans les années 1970


Un soir, à Port-au-Prince, alors que mon père, mon frère, l’une de mes sœurs et moi assistions au défilé du carnaval, l’ancien général des forces armées d’Haïti, Gracia Jacques, homme de confiance des dictateurs François et Jean-Claude Duvalier, sort de sa voiture et se dirige vers nous avec son fusil d’assaut M16 tenu à la main. Alors que je m’apprêtais à courir, comme la plupart des personnes qui étaient sur les lieux, mon père m’a retenu. In fine, nous avons pu constater que Gracia Jacques voulait simplement houspiller deux soldats qui se trouvaient à côté de nous et qui avaient omis de le saluer, comme l’exigeaient les règles du respect de la hiérarchie militaire.

Comme le dit le chanteur et rappeur haïtien Wyclef Jean dans un de ses morceaux, « when you’re rolling to the Carnival, anything can happen » (dont la traduction en français est « quand on va au carnaval, tout peut arriver »).

Je tenais à raconter cette anecdote pour la simple raison que le film Kanaval, d’Henri Pardo, qui sortira dans les salles le 3 mai au Québec, m’a plongé dans mes souvenirs d’enfance.

Et il y a fort à parier que la caméra de Pardo saura vous transporter dans les années 1970, époque où le carnaval haïtien, magnifié par les décors fabuleux et les « chaloskas », était considéré comme le meilleur au monde.

L’œuvre de Pardo va toutefois au-delà des festivités carnavalesques. Elle aborde notamment des sujets qui touchent directement les communautés diasporiques, comme, entre autres, l’abandon, la réconciliation familiale, l’accueil, l’humanisme, le mal du pays, la xénophobie, le racisme.

Nous sommes en 1975, à Jacmel, en Haïti. Rico (Rayan Dieudonné), 9 ans, décide d’aller au carnaval, malgré le désaccord de sa mère Erzulie (Penande Estime), qui est enseignante. Lors de cette fête culturelle où Rico a dû faire face à des situations insolites, le réel et l’imaginaire s’entremêlent. De retour à la maison, il est témoin d’un événement traumatisant qui obligera sa mère et lui à quitter le pays.

En plein hiver, Rico et sa mère arrivent au Canada, dans un petit village du Québec. Ils sont accueillis par un couple chaleureux, interprété par Martin Dubreuil (Le Temps d’un été) et Claire Jacques.

L’adaptation à leur terre d’accueil est particulièrement difficile, et Rico se crée un ami imaginaire, Kana, qui l’aide à conserver ses repères culturels dans ce nouveau monde peuplé d’extraterrestres.

Le cinéaste Henri Pardo, qui est d’origine haïtienne, ne cesse de nous surprendre par son authenticité et son génie : après son documentaire Dear Jackie, dans lequel il écrit une lettre à Jackie Robinson, et sa série documentaire Afro-Canada, il signe son premier long métrage de fiction afin de raconter son histoire ainsi que celle de la majorité des Haïtiens qui ont immigré au Canada pour fuir la dictature duvaliérienne.

Mieux encore, Kanaval décrit brillamment la douleur des communautés diasporiques qui souffrent des effets du déracinement et du morcellement culturel.

En effet, tout comme Rico, plusieurs enfants de la diaspora haïtienne, plus particulièrement ceux des années 1970-80, ne comprenaient pas que les colères de leurs parents étaient une réaction à tout ce qu’ils ont laissé derrière eux : la profession, la famille, les amis et, bien souvent, des propriétés.

Immigration et xénophobie. Difficile de dissocier l’une de l’autre. Sur ce point, il convient de souligner la franchise d’Henri Pardo, qui n’a pas cherché à angéliser le village qui a accueilli Rico et sa mère : il brosse avec justesse le racisme et les actes d’intimidation auxquels Rico est confronté.

Le jeune acteur Rayan Diedonné perce l’écran à un point tel qu’on ne croirait pas qu’il en soit à son premier rôle. Un rôle qu’il interprète à merveille. Lors de la première montréalaise de Kanaval, jeudi, je lui ai demandé en créole s’il allait bientôt jouer dans un autre film, il a répondu avec un grand sourire « mwen pa konnen » (je ne sais pas).

Je vous invite à lire un article de La Presse « Du Chemin Roxham au tapis rouge », qui raconte son incroyable histoire.

On peut dire sans hésiter que Pardo a gagné son pari : Kanaval est un très bon film, et l’ovation qu’il a reçu après sa projection au Cinéma du Musée en est la preuve.

Je me permets de conclure avec ce message important : Gens de la Communauté, si vous voulez que des réalisateurs afrodescendants continuent à vous présenter des films de grande qualité comme Kanaval, vous devez à tout prix les encourager.

Autrement dit, précipitez-vous vers les salles de cinéma en grand nombre pour aller voir leurs films !

Kanaval sera à l’affiche le 3 mai. Manifestez votre appui et passez le mot à vos amis ainsi qu’à vos collègues de travail.

Car, voyez-vous, Kanaval, c’est un peu l’histoire d’Henri Pardo, mais aussi la vôtre, celle que vos parents n’ont peut-être jamais voulu vous raconter.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

6 Commentaires

  1. C’est un très beau texte. Merci M. Innocent. Je lève mon chapeau au réalisateur Henri Pardo. Il fallait bien que quelqu’un pense àun film qui parle de la diaspora haïtienne.

    • Walter Innocent Jr. Répondre

      Merci pour les bons mots, Sylvestre. Oui, Henri Pardo raconte un peu son histoire et celle de beaucoup de gens de la diaspora haïtienne. Allez voir le film.

      À bientôt !

  2. J’ai hâte de voir le film. C’est la première fois que j’entends parler de ce réalisateur. Mes amies m’ont dit qu’il a déjà joué dans des rôles au Québec. Bravo à ce cher compatriote.

    • Walter Innocent Jr. Répondre

      Natacha, je vous encourage fortement d’aller voir Kanaval. C’est un très beau film.

      Merci et à bientô !

  3. Encore un autre beau texte, M. Innocent. Je me souviens que quand j’étais petite, justement dans les années 1970, il y avait une famille haïtienne qui habitait dans notre quartier. Effectivement, les parents semblaient être toujours fâchés et étaient très sévères avec leurs deux garçons. Maintenant je comprends un peu d’où venait cette frustration. J’irai voir le film, ça c’est sûr. Et je passe le mot aux gens qui m’entourent.

    • Walter Innocent Jr. Répondre

      Merci pour le compliment, Julie. Vous allez adorer Kanaval. Les acteurs son convaincants et l’histoire est attachante.

      Merci pour votre témoignage et à bientôt !

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