En 1960, le photographe Alberto Korda saisit le cliché qui deviendra l’image la plus reproduite de l’histoire de la photographie. La photo d’Ernesto « Che » Guevara arborant un regard déterminé. Toutefois, il a fallu attendre plus d’une dizaine d’années, soit après l’assassinat du Che, pour que ce portrait surnommé le « guérilléro héroïque » devienne célèbre. Or, en seulement 24 heures, la photo montrant Donald Trump avec l’oreille ensanglantée et le poing levé fait le tour du monde et se transforme en image emblématique, ce qui est inquiétant.
Jamais je n’aurais cru que le nom de Trump et celui du Che se côtoieraient dans un paragraphe d’un de mes textes. Le premier a craché sur Haïti et des nations africaines en les qualifiant de « pays de merde », et le second brûlait de désir de libérer ces pays opprimés.
L’opportunisme politique
J’ai appris la nouvelle de la tentative d’assassinat contre Donald Trump pendant que je dévorais des côtes levées de bœuf dans un restaurant du Time Out Market, à Brooklyn. Cela ne m’a pas du tout coupé l’appétit, mais je réfléchissais déjà sur les répercussions de cette balle qui a soufflé à l’oreille de l’ancien président américain.
En fait, je savais que les disciples de Trump profiteraient de cette occasion pour que leur prophète redevienne le « sauveur » de l’Amérique. Le Superman qui peut protéger la Terre contre le mal.
Je savais également que cette tentative d’assassinat féconderait des théories du complot qui se propageraient sur Internet – depuis l’assassinat de John F Kennedy, le complotisme est monnaie courante dans notre société.
Ce que je ne savais pas toutefois, c’est qu’on oublierait aussi rapidement que Donald Trump a été reconnu coupable de 34 chefs d’accusation pour manipulation comptable et dissimulation de pot-de-vin, ce qui lui donne un statut de criminel.
Pire encore, en 2016, cet individu a été élu président des États-Unis malgré le fait qu’il ait tenu des propos misogynes – « Attrapez les femmes par la chatte » – et racistes en toute impunité.
Avec un tel casier judiciaire, le commun des mortels aurait de la difficulté à se trouver un emploi. Cela ne semble pas être le cas de Trump, qui défie les normes sociales.
Indéniablement, nous sommes loin, très loin de l’époque où les candidats à la présidence américaine devaient franchir de nombreux obstacles liés à leur passé avant d’obtenir l’investiture de leur parti.
Par exemple, en 1992, Bill Clinton, le 42e président des États-Unis, a dû admettre, sous forte pression médiatique, avoir essayé la marijuana « sans inhaler », durant les années 1960, lorsqu’il fréquentait l’université d’Oxford, en Angleterre.
Silence, on tourne
Mais qu’est-ce qui ne va pas avec la société américaine pour qu’un vulgaire individu comme Donald Trump ait l’opportunité de redevenir locataire de la Maison-Blanche ?
De nombreuses choses ne tournent pas rond aux « États désunis » : outre les clivages raciaux, la polarisation politique s’amplifie dans ce pays bipartite, et l’insurrection du Capitole, survenu le 6 janvier 2021, en est un bel exemple.
Scandales après scandales, Trump, tel un super-héros de Marvel, tombe et se relève. Un super-héros qui a été créé par une bonne partie de la société américaine, qui montre de l’affection pour les émissions de téléréalité, le discours populiste et le racisme.
Poursuivant cette réflexion, j’ajouterais qu’il n’existe pas de politicien plus histrionique que Trump. D’emblée, l’ancienne vedette de l’émission de téléréalité « The Apprentice » a un don pour épater la galerie, et c’est peut-être son comportement excessif à la suite de l’attentat raté à son endroit qui a nourri les thèses complotistes.
En ce qui concerne son poing levé et son oreille ensanglantée, après avoir visionné cette scène de « bravoure » à caractère théâtral, je n’ai pu m’empêcher de penser à l’événement connu sous le nom du « Lundi de la matraque », où l’ancien premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau avait défié des manifestants séparatistes, lors du défilé de la Saint-Jean Baptiste, en 1968.
Assis à l’estrade d’honneur du défilé – située sur la rue Sherbrooke, en face du parc Lafontaine – en compagnie du maire Jean Drapeau, du premier ministre du Québec de l’époque Daniel Johnson et d’autres dignitaires, Pierre Trudeau a été la cible de projectiles lancés par des manifestants séparatistes. Alors que Daniel Johnson et son entourage se sont réfugiés en lieu sûr, loin de l’estrade d’honneur, Trudeau rejette littéralement du revers de la main la recommandation de son équipe de sécurité et reste sur place pour affronter l’adversité.
Les images de cet acte de courage ont fait le tour du Canada, et le lendemain, soit le 25 juin 1968, Pierre Trudeau remporte ses premières élections fédérales, faisant élire 155 députés libéraux contre 72 pour le parti progressiste-conservateur.
Le ROC voyait en lui un homme solide qui pouvait faire face aux séparatistes du Québec.
Une société mal informée est une société malade
Dans le cas de Trump, grand manipulateur qui sait comment maîtriser les mécanismes de communication non verbale, la balle ratée du tireur de 20 ans constitue une bénédiction de Dieu : le miracle, le sang, l’héroïsme et la combativité, tout y était.
Quelques heures après l’incident, le magazine Forbes a fait preuve de désinvolture en intitulant un de leurs articles ainsi : « Will surviving gunfire be Donald Trump’s next appeal to black voters? ».
Est-ce que le fait que Trump ait survécu aux coups de feu séduira les électeurs noirs ?
La question posée par le magazine Forbes a suscité des critiques publiques, et l’article a été retiré.
Voilà où en est la société américaine !
L’élection présidentielle ne se joue pas sur les compétences des candidats, mais bien sur leur surmédiatisation et le nombre de vues et de « like » qu’ils récoltent sur les réseaux sociaux.
Houston, USA has a problem!
2 Commentaires
Bonjour Walter. Bel article qui touche bien des points importants, Comme toi, jamais j’aurais cru que les États-Unis auraient pu descendre aussi bas. Beaucoup minimise le danger d’effondrement de la démocratie en disant que rien ne garantit que Trump essaiera de la détruire. Pourtant, le seul fait qu’il y ait une possibilité qu’il le fasse aurait du le disqualifier automatiquement.
Je suis estomaqué que bien des Américains ne soient pas troublés par un possible dictature qui pourrait prendre totalement effet en moins de 10 ans. Ils ne réalisent pas qu’il sera alors presque impossible d’en sortir.
D’autre part, je connais un type qui dit te connaitre. J’ai parlé plusieurs fois longuement avec lui. Il a sensiblement le même age que toi. Son prénom est celui d’un évangélitste, il dit demeurer sur la rive sud et d’être d’origine haitienne.
Je ne lui aie pas parlé depuis plusieurs mois. J’ai l’impression qu’il m’évite quand j’ai finalement perdu patience et que je lui ai reproché d’avoir des sympathies pour Trump. Il affirmait que les démocrates étaient aussi racistes que les républicains. Je n’en croyais pas mes oreilles. Finalement, il est un fervent admirateur de Poutine et me traite de naif pour croire ce que les médias racontent à son sujet.
Le type est sympathique et est un connaisseur en musique populaire et en arts en général. Le plus souvent nos discussions se limitaient à ca et cela se passait bien, mais pour la politique internationale, le fossé était profond.
Luc, tu analyses parfaitement la situation américaine. Cependant, ironiquement, bloquer Trump pour la simple raison qu’il représente un danger pour la démocratie est antidémocratique, non ? Honnêtement, en suivant la campagne électorale des États-Unis, je m’interroge beaucoup sur la capacité intellectuelle des politiciens, y compris ceux du Canada. Bon, disons que ce n’est plus l’époque où Brébeuf formait principalement des jeunes pour une carrière en politique.
Quant à la personne qui me connaît, il existe effectivement quelques personnes noires qui glorifient Trump ainsi que Poutine. Ces gens-là, le plus souvent, aiment le côté belligérant de Poutine et de Trump. Il y a aussi beaucoup de gens qui louent l’ancien dictateur François Duvalier malgré le fait que des proches aient été victimes du régime duvaliériste. On appelle cela le syndrôme de Stockholm. Cela ne veut pas dire que c’est le cas pour ton ami, toutefois.
Merci pour ce beau commentaire, Luc.