
Wilton Lubin, Sébastien Métivier et Maurice Viens. En novembre 1984, la disparition suspecte de ces trois garçons montréalais dans la même journée avait suscité un tollé à travers la province et provoqué une psychose collective. La tension est montée d’un cran lorsque, plus tard, on a appris que Wilton Lubin, 12 ans, et Maurice Viens, qui était âgé seulement de quatre ans, avaient été retrouvés sans vie. Et 40 ans plus tard, Sébastien Métivier manque toujours à l’appel.
Je me souviens de cette période horrible comme si c’était hier. La peur s’était emparée des citoyens, et les parcs de la métropole étaient désertés par les enfants.
Cependant, je me souviens davantage du sourire radieux de Wilton Lubin. De sa joie de vivre et de son désir de découvrir.
Wilton Lubin et l’arrivée du breakdancing à Montréal
Des amis, mon frère et moi l’avions côtoyé de très près pendant un certain temps. Nous partagions la même passion : le breakdance, cette danse afro-américaine qui venait de débarquer à Montréal.
À l’automne 1982, des adolescents de la communauté noire se réunissaient à l’entrée du centre commercial Les Terrasses (aujourd’hui le Centre Eaton) avec de grands morceaux de carton et une radio Boombox pour faire du b-boying (break dancing), au grand mécontentement des policiers et des gardiens de sécurité de l’espace commercial.


De ce fait, le métro McGill était devenu un point de rencontre pour les jeunes qui voulaient prendre part à l’émergence du breakdance dans la métropole.
Bien qu’il ait été aux premières loges de ces spectacles de rue, ce n’est toutefois qu’au printemps 1983 que nous avons remarqué la présence de Wilton Lubin, qui, malgré son jeune âge (11 ans), tenait à être un des acteurs de ce mouvement qui est né dans le Bronx, à New York.
En fait, ce n’est pas compliqué : comme tous les autres jeunes Afrodescendants, moi y compris, Wilton s’est plutôt servi du breakdance, qui est l’une des disciplines du hip-hop, pour lutter contre l’exclusion sociale.
Comme un petit frère
Chaque fois qu’on lui rappelait qu’il était trop jeune pour cette activité et qu’il devait rentrer à la maison, il s’effaçait en souriant, et resurgissait quand son morceau préféré, Rock It, de Herbie Hancock, retentissait et que les meilleurs B-Boys prenaient place sur le carton pour exprimer corporellement les émotions de la jeunesse noire.
Nous le voyions un peu comme un petit frère.
À ma connaissance, Patrick, alias Réjean Pépin (oui, oui, d’origine haïtienne… rires), qui était le plus âgé de nous tous, l’accompagnait à la maison dans les heures tardives de la nuit. Car, voyez-vous, Wilton habitait le quartier Hochelaga-Maisonneuve, qui était reconnu comme le refuge des skinheads, qui attaquaient violemment les personnes noires.
Nous n’étions pas beaucoup plus âgés que Wilton, mais nous nous souciions de sa sécurité, comme si nous avions l’esprit pour reconnaître les réels dangers de la société.
De loin en loin, Wilton se présentait aux Terrasses avec un garçon blanc aux cheveux blonds, et cela avait attiré l’attention, car le nouveau venu paraissait encore plus jeune que lui.
S’agissait-il de son voisin et ami Sébastien Métivier, qui serait plus tard porté disparu en même temps que lui ?
Il m’est difficile de répondre avec certitude, toutefois, d’autres qui participaient à cette activité socioculturelle affirment que la réponse est oui.


Néanmoins, une chose est sûre : les salles d’arcades du centre commercial et les séances de breakdance suscitaient chez Wilton et son ami un sentiment de liberté teinté d’émerveillement et d’innocence.
Au diable les sempiternelles consignes de prudence que nos parents nous donnent, place à l’indépendance, semblaient-ils dire.
Or, à l’automne 1984, Wilton Lubin a franchi une étape regrettable vers le danger lié au racisme anti-noir. Nous aussi, d’ailleurs.
La dernière danse
Cela s’est passé un samedi soir, sur la Rive Sud. Après avoir joué à Pac-Man, nous sommes allés dans un club (le Centre-Danse) destiné aux 14-17 ans. Wilton nous a suivis, comme c’était le cas depuis le début.
Une fois de plus, Patrick s’est assuré de prendre soin de Wilton en lui payant l’entrée. Nous étions à peine entrés dans le club que des gaillards dans la vingtaine nous ont repoussés avec des bâtons et d’autres armes dangereuses, en criant « Maudits n*gres ! »
Devant l’hostilité manifeste de ces racistes, nous avons pris la fuite alors que nous connaissions à peine le chemin menant vers Montréal.
Rendus près du pont Jacques-Cartier, nous étions hors de danger, mais nous avons constaté que Wilton Lubin et deux autres manquaient à l’appel.
Pris de panique, nous avons décidé de nous rendre à un poste de police pour rapporter les faits, mais, heureusement, nous avons croisé Joël et Gérald sur notre chemin, et ils nous ont confirmé qu’ils avaient accompagné Wilton jusqu’à la sortie du pont.
Nous étions soulagés de savoir qu’il était en sécurité, ne sachant pas que c’était notre dernière danse, que nous ne le reverrions plus.
Le 1er novembre 1984, vers 13 h, dans le Centre-Sud de Montréal, Maurice Viens est disparu après être monté dans la voiture d’un inconnu.

Puis, dans la soirée, Wilton Lubin et Sébastien Métivier sont également disparus après avoir assisté à un cours de bricolage, à l’église de leur quartier (Hochelaga-Maisonneuve).
Quelques jours plus tard, soit le 6 novembre, on a trouvé le corps mutilé de Maurice Viens, dans une maison abandonnée, à Saint-Antoine-sur-Richelieu.
Le 2 décembre 1984, soit un mois après sa disparition, la police a retrouvé le corps de Wilton Lubin sur la rive du fleuve Saint-Laurent, près de l’île Charron. Il avait lâchement été étranglé et égorgé par son bourreau.
Quant à Sébastien Métivier, toujours pas de nouvelles.
Et là où le bât blesse, c’est que personne n’a été accusé relativement aux enlèvements de ces trois garçons. Voyez-vous, il est difficile de tourner la page sur une histoire aussi triste quand des actions en justice n’ont pas été prises.
Enfin, quoi qu’il en soit, le sourire et la fougue de Wilton seront précieusement conservés dans mes souvenirs.
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1 Commentaire
Très bel hommage…
J’avais 13 ans, mon frère 11, à l’époque et je connaissais l’oncle de Sébastien, malgré qu’il soit beaucoup plus vieux que moi
J’étais dans l’incompréhension
Ma mère suivait ‘l’affaire’ dans les journaux et la radio et en pleurait, donc nous étions tenu au courant aussi
Plus tard, je l’ai vécu personnellement puisque mon neveu, Francis Albert-Cloutier, est disparu en 2006
Sa mère l’a déclaré mort en 2018, je crois, simplement pour faciliter sa propre succession
Mais nous sommes toujours dans l’attente…
Merci pour votre beau texte 😔
On ne peu pas tourner la page