Ce texte est une promesse. Une promesse que j’ai faite à un ami, qui est père de famille, et qui tient à ce que nous sortions de la loi du silence afin d’encourager les victimes de viol à libérer leur parole.
Pour aller droit au but, j’avoue que ce billet a en partie été inspiré par un sujet d’actualité impliquant une femme – mineure à l’époque des faits reprochés -, un homme et son incapacité à contrôler ses pulsions sexuelles.
Dans ce cas-ci, on parle d’exploitation sexuelle, n’est-ce pas?
Le tabou des tabous
Je dois tout de même souligner que l’objectif de ces écrits ne consiste pas à mener un procès contre Luck Mervil, un individu que je connais depuis le début des années 80.
Bien que je qualifie son acte d’extrêmement grave, je préfère mettre mon opinion de côté et laisser cet exercice à la juge qui dispose de l’autorité et des compétences requises en la matière.
Il est ainsi beaucoup plus constructif de mettre l’accent sur les nombreuses victimes de la communauté qui, d’ailleurs, souffrent en silence, ne parvenant pas à briser leurs chaînes.
En effet, profitons de ce brouhaha médiatique pour enfin lever le voile sur le tabou des tabous de la communauté haïtienne. Et il ne s’agit surtout pas de Tabou Combo, qui nous fait danser et festoyer depuis une cinquantaine d’années.
Il est plutôt question de cas de viol, d’attouchements sexuels et d’inceste qui perturbent la vie de plusieurs jeunes filles et jeunes garçons de la communauté.
Quand le silence fait mal
Ce phénomène n’est pas nouveau chez nous, mais nous avons toujours été tenus à la discrétion en raison du caractère pudique et religieux de notre société.
Combien de « restavèks » de la gent féminine d’Haïti ont été abusées physiquement et sexuellement par les hommes de la maison de leur servitude?
Beaucoup trop.
Combien de jeunes filles et de jeunes garçons de la communauté haïtienne de Montréal sont obligés de cacher des « secrets de famille » pour ne pas incriminer soit un beau-père, un oncle ou un ami de la famille?
Toujours beaucoup trop.
Malheureusement, l’objetisation de ces innocents enfants est devenue normale au fil des ans.
Nous faisons semblant de ne pas voir les mains baladeuses des opresseurs, et nous faisons la sourde oreille au cri des victimes.
Le viol dans la communauté haïtienne? « Ni vu, ni connu ». Telle est notre réaction lorsque nous sommes confrontés à la problématisation des délits sexeuls.
La culture du viol au fil du temps
D’ailleurs, pour mieux illustrer la culture du viol que les Haïtiens semblent renier, je vous résume les événements principaux du dernier roman de l’écrivain haïtien Justin Lhérisson, intitulant « Zoune chez sa ninnaine ».
Notez toutefois la similitude frappante entre le récit fictif de Lhérisson et la triste histoire de cette mineure qui a débuté en 1996.
Dans ce livre que j’ai pu lire durant mon adolescence, on raconte l’histoire de Zoune, qui a été prêtée à sa marraine afin qu’elle soit épargnée de la misère d’une des communes de la Croix-des-Bouquets.
Elle n’a que 10 ans à son arrivée chez sa marraine, madame Florida Boyotte. Déjà à 16 ans, elle suscite le désir de tous les hommes du quartier, y compris le colonel Cadet Jacques, l’homme de sa ninnaine. Incapable de résister aux charmes de la jeune fille, celui-ci multiplie les actes de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle à son endroit, d’où, d’ailleurs, le terme « kadejak », signifiant viol en créole.
Jalouse de l’attention malsaine que porte le colonel envers sa filleule, madame Boyotte expulse celle-ci de chez elle.
Zoune est perçue comme celle qui dérange.
Or, aujourd’hui, en 2018, nombreuses sont les jeunes filles qui n’osent pas dénoncer leurs bourreaux pour ne pas subir le même sort que Zoune, le personnage de ce roman dont l’histoire se passe en 1818.
Deux cents ans plus tard, on ne peut pas dire que les choses aient beaucoup changé.
Cette semaine, en lisant les propos de quelques personnes haïtiennes commentant le dossier Luck Mervil dans les réseaux sociaux, j’ai constaté que la victime du Patriote de l’année 2004 semble encore être celle qui dérange. Et ce, malgré la reconnaissance des faits du chanteur haïtiano-québécois.
Nous sommes trop nombreux à penser que des femmes violées l’ont cherché en essayant d’attirer l’attention.
Certains questionnent même la crédibilité des victimes qui portent plainte après un long délai.
D’autres ne comprennent pas pourquoi celles-ci acceptent d’endurer les atrocités de leur oppresseur pendant plusieurs années.
Quelles absurdités!
Ou, devrais-je peut-être dire, quelle insensibilité de la part de gens qui ont sûrement des filles, des sœurs, des nièces…
Chers amis de la Communauté, nous ne pouvons plus nous permettre de nous enliser dans l’ignorance en ce qui concerne la culture du viol.
Comprendre et dénoncer la culture du viol
Il importe de savoir que, quelles que soient les circonstances d’une violence sexuelle, le responsable de cette agression est l’auteur, point barre.
De plus, la blessure émotionnelle d’une victime de viol ne se guérit pas simplement par une visite chez Jean-Coutu ou Pharmaprix.
C’est une douleur qui peut bien pérenniser…
Tout récemment, Jude, un ami aussi brillant qu’Einstein, attirait également mon attention sur le lien entre l’esclavage et l’omerta qui règne dans notre petit monde.
J’en conviens que l’esclavage peut avoir une influence sur plusieurs de nos comportements.
Néanmoins, n’est-il pas temps de faire le ménage chez nous afin de libérer les tabous que nous avons enfermés dans le placard depuis trop longtemps?
Ce serait un petit pas pour la communauté haïtienne, mais un grand pas pour les victimes d’agression sexuelle.
2 Commentaires
Bravo mon cher ami!
En effet, tes belles idées m’ont en quelque sorte fait voyager un petit peu vers ….
Continue ton bon travail!
Merci beaucoup Mafcool! Tes mots d’encouragement me motivent. À bientôt, camarade…