Culture

Le bar Thunderdome, la jeunesse noire et la mort tragique de Presley Leslie


En 1988, on assiste à l’explosion de la musique noire aux États-Unis : le New Jack Swing domine la scène musicale, Bobby Brown s’illustre avec son deuxième album Don’t Be Cruel, et le rappeur Rob Base fait savoir au monde entier qu’« il faut être deux pour que quelque chose se passe bien » en lançant sa chanson phare « It Takes Two », tandis qu’à Montréal, une nouvelle boîte de nuit qui porte le nom de Thunderdome devient le lieu de prédilection de la jeunesse noire.

Au cours de cette même année, après quelques semaines passées à Boston, je me suis rendu compte que Montréal n’avait rien à envier à cette ville états-unienne en ce qui concerne la vie nocturne.

Je m’explique.

Plus je fréquentais les boîtes de nuit dans le but de tomber amoureux avec la ville de John F. Kennedy, plus je pensais aux soirées dominicales du Business et aux prestations des groupes musicaux du Checkers, deux bars mythiques qui ont marqué les nuits montréalaises.

Bref, je passais des heures longitudinales à rêvasser. Tout ce qui occupait mon esprit était la vision de ma mère qui m’aidait à choisir mes vêtements quand je me préparais pour sortir ainsi que les gens heureux qui se promenaient sur les trottoirs de la rue Sainte-Catherine, afin de faire un choix sur les nombreux bars, discothèques et restos, qui élevaient Montréal au rang des plus grandes villes pour manger, boire et faire la fête.

En réalité, j’avais le mal du pays, une grande souffrance, qui ne se guérit que par un retour au bercail.

Au diable le rêve américain et ses faux espoirs. Comme le dirait Jean-Pierre Ferland, je reviens chez nous.

J’étais à peine débarqué à Montréal, un samedi du mois de juillet, que deux de mes amis m’ont amené à ce qu’ils appelaient le « nouveau spot », le Thunderdome, qui était situé sur la rue Stanley, et qui était aussi le voisin du légendaire bar de danseuses nues Chez Parée.

Il s’agissait pour le moins d’un jumelage qui constituait un oxymore : d’un côté, des vieux cochons qui s’évadaient dans les danses érotiques de jeunes demoiselles pour oublier leurs ennuis à la maison, et de l’autre, la jeunesse noire qui ne voulait que bouger, danser et s’amuser pour contrer la discrimination raciale et sociale.

Lorsque je suis entré dans le club, j’ai été émerveillé par la joie et l’énergie qui y régnaient. Les fêtards, survoltés par la musique « Do This My Way », exécutaient à la perfection le « kick step », la danse de Kid n Play.

Le décor sombre et « moyenâgeux » du Thunderdome ainsi que la présence de quelques individus affichant un comportement douteux ont certes suscité des inquiétudes chez certains clients, mais la musique et l’ambiance étaient si bonnes que le risque en valait la peine.

Ah oui, il y avait aussi le « wet t-shirt » – concours de tee-shirts mouillés – qui se déroulait tous les jeudis soir. Indubitablement, ce concours consistait à « valoriser » les seins de celles qui y participaient ainsi qu’à faire monter la température toxique de la gent masculine.

Pour la petite histoire, une jolie Haïtienne de Saint-Michel, dont je tairai le nom, était la reine incontestée de ces jeudis soir remplis d’érotisme et de voyeurisme.

Les dimanches soir étaient consacrés à la musique reggae, et grâce à l’ascension fulgurante à l’international des chanteurs Shabba Ranks et Super Cat, ces soirées ont permis au Thunderdome d’élargir sa clientèle.

Donc, du jeudi au dimanche, les jeunes gens et les jeunes filles de Côte-des-Neiges, Saint-Michel, Notre-Dame-de-Grâce, la Petite-Bourgogne, Rivière-des-Prairies et un peu partout dans la métropole se réunissaient au Thunderdome pour danser au son de la musique reflétant la culture noire, qu’il s’agisse du R&b, du hip-hop, de la house ou du reggae.

En fait, les jeunes Noirs se rassemblaient au 1254 rue Stanley pour hisser l’hymne à la joie, à la vie.

Toutefois, la fugacité de ces moments de joie et d’allégresse frappera durement ces jeunes, qui ne cessent de faire face à des obstacles abusifs.

En effet, un événement tragique est venu gâcher la fête : le 9 avril 1990, Presley Leslie, bien connu de la communauté antillaise anglophone, devient le deuxième homme noir tué par la police lorsqu’il reçoit six balles tirées par trois agents lors d’une intervention faisant suite à un appel pour bagarre au club Thunderdome.

Que s’est-il réellement passé lorsque les policiers du SPCUM – aujourd’hui SPVM – ont été dépêchés sur les lieux ?

Plus de 30 ans après les faits, plusieurs se posent encore la question, car il existe de multiples versions qui pourraient nourrir l’imagination de Brian De Palma, le réalisateur du film Scarface.

Leslie avait-il vraiment pointé une arme à feu en direction des policiers ? Ou encore tirait-il, comme un déchaîné, un peu partout dans le club ? De l’avis de plusieurs, Presley Leslie n’était pas armé, et c’est là que les choses se compliquent.

Le mystère planait autour de la mort de Presley Leslie, comme ce fut le cas dans la mort des jeunes Noirs Anthony Griffin et Marcellus François, qui ont été tués par la police, respectivement en 1987 et en 1991.

Fait à noter, Raynald Fradette, le propriétaire du Thunderdome, a affirmé aux journalistes avoir vu Leslie tirer sur les policiers avant de tomber sous les balles de ces derniers. Cette déclaration n’a pas manqué de susciter la colère de la communauté noire, qui a largement contribué à la popularité du Thunderdome.

Et c’est ainsi qu’une campagne de boycottage a mené à la chute de la boîte de nuit qui faisait vibrer le centre-ville de Montréal.

Lors des funérailles, qui ont été célébrées par le frère de Presley Leslie, au salon mortuaire Collins Clarke MacGillvray, j’ai constaté une chose : les pleurs sont le moyen de communication par excellence des hommes durs.

En effet, certains des amis de Leslie, qui étaient considérés comme des durs à cuire, avaient de la difficulté à retenir leurs larmes. Ne pouvant exprimer leur chagrin, ils ont fait parler leur cœur par une pluie de larmes.

Pour ma part, je ne connaissais pas profondément Presley Leslie, mais la cordialité et la convivialité des conversations que nous avons eues sur le basketball et sur la vie m’ont fait comprendre qu’il était un autre homme noir incompris de la société.


Je vous invite à participer à la conversation en laissant un commentaire un peu plus bas sur le site. Merci.

Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

Laisser un commentaire