À la demande d’un lecteur, John, qui est d’abord une demande de protestation, je reviens sur la question du verglas et des pannes d’électricité qui ont mis le Québec sens dessus dessous en faisant une comparaison entre la ville qui m’a vu naître et celle qui m’a vu grandir et qui m’a formé, soit Port-au-Prince et Montréal, mes deux amours.
Que s’est-il donc passé le mercredi 5 avril ? C’est la question que se posent de nombreux Montréalais, comme John, qui ne digèrent pas d’avoir été privés d’électricité pendant plus de quatre jours.
Bien que nous ayons connu des moments pires que ceux des derniers jours, nous nous étonnons toujours devant le constat que des pluies verglaçantes et des tempêtes de grésil puissent nous plonger dans le noir pendant des jours, dans un pays aussi développé que le Canada.
Encore hier, dans des dizaines de milliers de foyers, le courant brillait par son absence.
Le plus fascinant, c’est que, dès lundi, les équipes de météorologues d’Hydro-Québec tentaient de prévoir l’intensité de l’attaque de la tempête qui se dirigeait vers nous.
Indubitablement, la mise à nu de la vulnérabilité d’Hydro-Québec nous prouve que notre Grand Créateur n’est nullement impressionné par nos millions de dollars et les installations sophistiquées de la société d’État; il frappe qui il veut, où il veut et quand il veut.
Je dirais même que les plus rigoristes des chrétiens n’hésiteraient pas à faire le lien entre les contraintes du mauvais temps et la semaine sainte.
Cet événement indésirable devrait également porter les Haïtiens vivant au Québec, plus particulièrement ceux de la supposée classe bourgeoise, qui se sont « pétionvilisés » dans les hauteurs de Côte-des-Neiges, à réfléchir sur les besoins fondamentaux d’Haïti, où 70% des ménages n’ont pas accès à l’électricité.
Ne s’agit-il pas là d’une posture moyenâgeuse de la Première République noire, qui, pourtant, est le premier pays des Caraïbes à avoir été électrifié, en 1912 ?
En fait, c’est la raison pour laquelle j’ai intitulé ce texte « Il a neigé à Port-au-Prince, il faisait noir à Montréal », m’inspirant du grand succès « Je reviens chez nous », de Jean-Pierre Ferland, dans lequel le chanteur québécois manifeste son mal du pays, lors d’un moment de solitude, dans un hôtel de Paris, en 1966.
Revenons sur les lieux de ce que plusieurs pourraient considérer comme constituant un crime contre la qualité de vie des bienheureux Occidentaux.
Je me trouvais chez ma copine, dans l’est de la ville, plongé dans mes engagements rédactionnels, lorsque soudainement, un bruit violent retentit devant son condo. Alors que je me précipitais pour aller identifier cette nuisance sonore, un autre bruit s’est fait entendre, comme pour me dire de faire encore plus vite, car le cas était grave.
En voyant les branches d’arbre qui sont tombées au combat dans les rues, un sentiment de peur, d’impuissance et de stupeur s’est emparé de moi.
La date du 9 janvier 1998 et les 12 000 militaires de l’armée canadienne qui ont foulé le sol québécois lors de cette tempête de verglas historique ont commencé à coloniser mon esprit, virevoltant dans mes pensées, comme une feuille au gré du vent.
In fine, ce qui devait arriver arriva : le courant ne passait plus entre Hydro-Québec et plusieurs quartiers de la métropole, y compris celui où je me trouvais.
Quelques instants plus tard, mon téléphone s’est mis à pleurer, et les proches qui ont été affectés par ce foutu « blackout » n’ont pas tardé à exprimer leur mécontentement en reprochant à Hydro de ne pas avoir tiré des leçons du passé.
Les critiques fusaient de toutes parts, mais reconnaissons qu’Hydro-Québec paie aujourd’hui la rançon de sa gloire, de son idéalisation en tant qu’institution toute-puissante.
Un ami d’origine haïtienne est même allé jusqu’à dire qu’il préférerait être dans les ténèbres et dans la chaleur de sa terre natale.
Je suis plutôt d’avis que si les rôles étaient inversés, c’est-à-dire qu’il avait neigé à Port-au-Prince et que l’accès à l’électricité était garanti, ne serait-ce que pour une journée, cela permettrait à la population haïtienne de jouir d’une grande lumière afin de démasquer les ravisseurs de courant, à savoir les politiciens crapuleux du pays.
Au centre-ville de Montréal, du moins dans le secteur où j’habite, on a encore échappé au purgatoire des pannes d’électricité causées par les caprices de la nature.
Cependant, en début de soirée, on avait l’impression de se retrouver dans 28 jours plus tard, ce film postapocalyptique, du réalisateur Danny Boyle : les rues, marquées par un calme amniotique, étaient désertes, comme s’il n’y avait point d’habitants.
Enfin, plus d’un million de clients d’Hydro-Québec ont été privés d’électricité, de chauffage, d’eau chaude et de réfrigérateur. Et deux personnes ont perdu la vie dans des circonstances liées à la tempête.
Que peut-on retenir de ces événements ?
Que la nature détruit aussi facilement qu’elle fait naître. Et qu’Haïti ne détient pas le monopole des catastrophes naturelles (Pays mal aimé), elle est plutôt prise dans le tourbillon de ses politiques internationales et nationales.
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