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Les Haïtiennes et les Haïtiens sont de plus en plus fiers de leur identité


Ce n’est un secret pour personne : dans une société inégalitaire, on n’accorde aucun intérêt aux perdants. C’est encore plus vrai dans le cas de ceux et celles qui accumulent les échecs. On les ignore, ou on les traite avec un mépris moqueur. On les dénigre sans la moindre intention constructive. C’est exactement ce que la diaspora haïtienne a subi avant l’ascension des Fugees, et plus récemment, des Grenadiers.

Beaucoup le savent, mais peu en parlent : durant les années 1980, les membres de la diaspora haïtienne ont vécu l’enfer.

La chasse aux Haïtiens dans les années 1980

Que ce soit à Montréal, à New York, à Boston ou à Miami, à l’époque, de nombreux Haïtiens cachaient leur identité, de peur d’être persécutés.

Certains mettaient de côté leur haïtianité pour la simple et bonne raison qu’ils avaient honte de leurs origines quand les gens s’en moquaient.

Par exemple, au début des années 1990, à Miami et dans d’autres villes de la Floride, chaque semaine, une journée était dédiée à la violence contre les Haïtiens, dans les écoles secondaires.

Cet acte de barbarie, qui a été surnommé « The Haitian Friday », est gravé dans la mémoire collective de la communauté haïtienne de la Floride.

À New York, la majorité des jeunes d’origine haïtienne refusaient de parler leur langue maternelle afin d’éviter la violence des Afro-Américains et des membres des Caraïbes anglophones.

Kangol Kid, le premier Haïtien de l’histoire du hip-hop et membre fondateur du légendaire groupe UTFO, a expliqué comment il était impensable pour lui de dévoiler ses origines, car les Haïtiens ne correspondaient pas à la « coolitude » de la scène hip-hop.

« Je ne disais à personne que j’étais Haïtien, parce que j’ai été victime de préjugés anti-haïtiens, et ma mère a été attaquée devant moi, alors qu’elle était enceinte de mon petit frère, en raison de sa nationalité », a révélé Kangol Kid, dans une interview.

Le rappeur Kangol Kid

À Montréal, les jeunes de la communauté haïtienne n’osaient pas s’aventurer dans les quartiers ayant une prédominance de résidents issus de la Jamaïque, du Trinidad ou de la Barbade.

Pourquoi ?

Durant les années 1980, la notion de « deux solitudes » était bel et bien présente dans la communauté noire : les Haïtiens à l’est, les Caraïbéens anglophones à l’ouest. Ces derniers ne s’empêchaient pas de traiter leurs frères et sœurs de « Fucking Haitians », de « Boat People », de « Haitian AIDS », ou même de s’en prendre à eux physiquement.

Lorsqu’ils se trouvaient dans les boîtes de nuit, au centre-ville, l’ignorance de leurs pairs anglophones avait poussé de nombreux jeunes Haïtiens à ne s’exprimer qu’en anglais, malgré leur accent qui trahissait leurs origines.

Ooh-la-la-la, un vent de liberté souflle

Cependant, en 1994, un vent de liberté souffle sur cette jeunesse haïtienne en crise d’identité et à la recherche de modèles : les Fugees sortent leur premier album, et la rumeur veut que deux membres du groupe rap, Wyclef Jean et Pras Michel, soient Haïtiens.

Deux ans plus tard, soit en 1996, les Fugees sortent The Score, l’un des plus grands albums de tous les temps, et Wyclef Jean brise la chaîne du déni de l’identité haïtienne : il se produit sur scène avec le bicolore haïtien, et fait savoir au public qu’il vient de la Première République noire.

Ceux et celles qui dénigraient la communauté haïtienne commencent à sortir de l’ignorance et portent un regard différent sur les filles et fils de Dessalines.

Cette même année, les Fugees ont rempli le Centre Bell (autrefois Centre Molson), et Wyclef a ouvert le spectacle avec un court monologue de l’humoriste haïtien Maurice Sixto, l’auteur du chef-d’œuvre Sentaniz.

Oui, la culture était à l’honneur cette soirée-là : le public, qui était composé de gens de toutes les origines, a beaucoup appris sur Haïti, notamment sur son passé glorieux et sur Croix-des-Bouquets, lieu de naissance de Wyclef Jean.

Or, aujourd’hui, bien que l’anti-haïtianisme soit encore présent, l’année 2025 a vu une augmentation dans l’engouement mondial pour les artistes et les athlètes d’origine haïtienne.

Partout où on va dans la métropole, les gens veulent entendre la musique de Joé Dwèt Filé, et les médias québécois se sont grandement nourris de la présence de Lugentz Dort et de Bennedict Mathurin en finale de la NBA, au début de l’été.

Ces deux basketteurs d’origine haïtienne ont particulièrement attiré l’attention des médias états-uniens par le fait qu’ils aient grandi dans le même quartier, ce qui est rarissime dans la NBA.

Même Capois-la-Mort et Jean-Jacques Dessalines ont été célébrés grâce à la dénomination de la future station de métro Vertières, à Montréal.

Tous les espoirs sont permis

Cette semaine, c’est la cerise sur le gâteau : les Grenadiers se qualifient en Coupe du monde après 52 ans d’attente.

Ce moment historique a séduit les médias, et le nom d’Haïti est sur toutes lèvres, une histoire incroyable, que même les plus grands scénaristes d’Hollywood n’auraient pu écrire.

What’s next ?

Tous les espoirs sont permis.

Mes prédictions : les Grenadiers seront les chouchous de la Coupe du monde, leurs maillots se vendront très bien et des commanditaires importants vont se manifester auprès de la Fédération haïtienne de football.

L’été montréalais prendra des allures léogânaises, car le son du rara s’emparera de la métropole, du Quartier des spectacles, des scènes du Festival de jazz.

Les klaxons des voitures accompagneront le chant de la « victoire » des Haïtiens quand les Grenadiers marqueront un but.

Bref, l’esprit festif de la communauté haïtienne sera au rendez-vous, n’en déplaise à celles et ceux qui pensent qu’elle en fait trop.

Gens de la Communauté, je ne cesserai de le dire : la participation des Grenadiers à la Coupe du monde nous permet de renforcer notre unité, notre identité et notre fierté d’appartenance à la Première République noire.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

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