Ce n’est un secret pour personne que lorsque la Seleção, l’équipe nationale du Brésil, dispute un match à la Coupe du monde de football, une bonne partie de la population haïtienne interrompt ses activités quotidiennes et brandit le mythique maillot jaune pour suivre les quintuples champions. Que ce soit en Haïti ou dans la diaspora, cette « brésilophilie » se transmet d’une génération à l’autre.
Le 30 juin 2002, la finale de la Coupe du monde de football opposait le Brésil et l’Allemagne, au Stade international de Yokohama, au Japon. C’était la première fois que ces deux puissances du football s’affrontaient dans un match de clôture, voire lors d’un Mondial.
La victoire et le rara
À 20 heures pile (heure japonaise), le célèbre arbitre italien Pierluigui Collina donne le coup d’envoi à la rencontre, et les partisans des deux finalistes retiennent leur souffle.
Grâce à deux buts de Ronaldo marqués aux 67e et 79e minutes, le Brésil l’emporte 2-0 face à l’Allemagne.
Que la fête commence !
L’euphorie s’empare donc du peuple brésilien : des millions de gens jubilent et crient de joie afin de célébrer le 5e sacre de la Seleção (1958, 1962, 1970, 1994, 2002). Un record.
En Haïti, comme à l’accoutumée, cette victoire est célébrée au son des instruments à percussion, du mannouba et du graj des raras improvisés dans certaines villes du pays.
Dans les rues de Montréal, de New York et de Miami, les membres de la communauté haïtienne, vêtus de leur maillot jaune, entonnaient des chants de la victoire, et les klaxons des voitures les accompagnaient.
Les amateurs de football d’origine haïtienne aiment la Seleção inconditionnellement.
Quelles sont donc les origines de cet amour qu’éprouvent les Haïtiens pour l’équipe nationale du Brésil ?
Les origines de cet amour sont étroitement liées à Edson Arantes do Nascimento dit Pelé, un Afro-Brésilien, qui est considéré comme le plus grand footballeur de tous les temps.
Bien qu’il ait pris sa retraite en 1977, la légende du ballon rond demeure le sportif le plus connu au monde.
L’impact social et culturel de Pelé
En Haïti ainsi que dans les pays africains, la renommée de Pelé va au-delà de ses beaux buts, de ses dribles étourdissants et de sa touche de balle magistrale.
C’est une icône culturelle et sociale, un symbole d’excellence qui, dans le monde profondément raciste et ségrégationniste des années 1950 et 1960, a procuré un sentiment de fierté, d’identité et d’appartenance à de nombreuses personnes noires.
En effet, ne possédant pas de télévision à cette époque, la plupart des Haïtiens ont entré les exploits de Pelé dans leur imaginaire grâce à la technologie de la radiodiffusion.
En fait, peu de gens connaissaient le visage de Pelé. Seuls les mieux nantis de Pétion-Ville et d’autres quartiers huppés de Port-au-Prince avaient les moyens pour contempler les photos du Brésilien dans des magazines dispendieux tels que Paris Match.
C’est lors de la Coupe du monde de 1958 en Suède, où Pelé a mené le Brésil à son premier titre mondial que la belle histoire d’amour entre les Haïtiens et l’équipe du Brésil a commencé.
En quatre matchs, Pelé a marqué six buts, dont trois en demi-finale et deux en finale. Grâce à cet exploit phénoménal, Pelé, alors âgé de 17 ans, est devenu une idole sportive.
Il convient de souligner que d’autres joueurs noirs tels que Didi, Vava et Garrincha ont joué un rôle important dans la conquête de la Seleção.
En 1962, au Chili, le Brésil remporte à nouveau la Coupe du monde, et la « brésilophilie » s’intensifie en Haïti.
En 1970, au Mondial de Mexico, Pelé et l’équipe nationale du Brésil se rapprochent de leurs partisans haïtiens : la télévision devient accessible à certains d’Haïti et le tournoi est retransmis en mondovision, c’est-à-dire la télédiffusion simultanée d’un programme dans un maximum de pays du monde.
La gloire de Pelé, le rêve des Haïtiens
De nombreuses foules s’amassent dans les ménages possédant une télévision afin de voir la finale opposant le Brésil et l’Italie.
À la 18e, Pelé, le prodigieux buteur évoluant au sein du club Santos, donne le ton au match en parquant de la tête sur un centre de Rivelino. Après avoir égalisé, l’Italie est étourdie par la créativité du Brésil, qui ouvre la machine en deuxième mi-temps.
Cette démonstration de jeu à saveur artistique a permis à Gerson et Jairzinho de porter la marque à 3-1 en faveur du Brésil.
Et à la fin du match, sur une passe de Pelé, après une formidable séquence de jeu collectif, Carlos Alberto marque le dernier but du match, qui est considéré comme l’un des plus grands buts de l’histoire de la Coupe du monde.
Ainsi, le Brésil est sacré champion une troisième fois, et Pelé est le seul joueur à avoir participé à trois titres mondiaux.
Ce fut la joie dans les rues des grandes villes du Brésil et un moment de pure magie pour les Haïtiens, qui se sont échappés du macoutisme du dictateur François Duvalier, pour se réfugier dans l’univers de Pelé et de la Seleção.
Ils n’avaient besoin que de la durée de cette finale, soit 90 minutes, pour se nourrir d’espoir qu’un jour, leur pays pourrait prendre part à ce grand spectacle sportif, qu’un Pelé émergerait du Bel Air, de La Fossette ou d’autres quartiers populaires d’Haïti.
Quatre ans plus tard, soit en 1974, ce rêve se concrétise lorsqu’Haïti participe à la Coupe du monde en Allemagne. Emmanuel « Manno » Sanon, qui a mis fin au record du gardien italien, qui a passé deux ans (1 142 minutes) sans encaisser de but en compétition internationale, était un peu le « Pelé » des jeunes Haïtiens.
Au milieu des années 1970, dans les matchs organisés par les écoles, le no 10 du Brésilien était très convoité, et les meilleurs joueurs des quartiers de Port-au-Prince étaient surnommés Pelé.
D’ailleurs de nombreux enfants de cette génération portent le prénom d’Edson et de Pelé.
C’est ce que l’on appelle un phénomène mondial et un symbole identitaire.
Quand il a foulé la pelouse du stade Sylvio-Cator, en 1975, dans le cadre d’une partie amicale entre son club le Cosmos de New York et le Violette AC, Port-au-Prince était sens dessus dessous. Le résultat de ce match n’avait aucune importance aux yeux des spectateurs.
En réalité, Haïti a été victorieuse par la simple présence de Pelé sur son territoire.
Au fil du temps, le supportérisme en Haïti en ce qui concerne la Coupe du monde s’est émancipé. Les noms de Maradonna, de Messi ainsi que le Onze argentin se sont faufilés dans le vocabulaire de quelques Haïtiens.
Et contrairement à la croyance populaire, cette dissidence n’a pas pris naissance lors de la conquête du titre mondial de Maradonna et l’Argentine, en 1986, à Mexico, mais bien en 1978, lorsque l’Argentine, pays hôte de la 11e Coupe du monde, a été sacrée championne du monde, grâce à Daniel Passarella et Mario Kempes.
La beauté du football, c’est ça : établir des comparaisons qui ne manquent pas d’alimenter les conversations.
Voyez-vous, en Haïti, comme dans bien d’autres pays, le football est une religion, et le dieu de cette religion s’appelle Pelé.
Je vous invite à participer à la conversation en laissant un commentaire un peu plus bas sur le site. Merci.
6 Commentaires
Mon cher, d’une manière limpide et élégante comme d’habitude, tu viens d’élucider ce mystère, à savoir cette admiration indéfectible des haïtiens pour l’équipe brésilienne. C’est effectivement l’amour des haïtiens à l’endroit du roi Pelé qui rejaillit du même coup sur l’équipe de football du brésil et ceci est devenu une tradition! Merci frère!
Alexandro
Merci beaucoup Alexandro. Comme tu le dis, frère, cet amour est devenu une tradition. Espérons que des jeunes Haïtiens s’inspirent de cette tradition pour qu’Haïti puisse un jour remporter la Coupe du monde. À bientôt, frère.
Mon frère, mes sœurs et moi avons eu la chance de voir évoluer Edson Pelé lorsque nous étions jeunes en Haïti. De 1974 à 1976, c’était de la pure folie, l’ambiance était merveilleuse.
Mon frère était en admiration, lorsqu’il expliquait comment le génial Pelé avait pu faire tel ou tel but.
Dieu, ce que c’était une belle époque! Impossible à oublier !
Mille mercis pour ce témoignage, Fabienne. J’ai également eu le privilège d’assister à ce match au stade Sylvio Cator. Ma mère m’avait amené, car elle savait que j’étais fasciné par Pelé. C’était quelques mois avant que nous quittions Haïti à destination du Canada. Je n’étais qu’un enfant, mais je me souviens parfaitement de ce moment merveilleux.
Au plaisir de vous lire à nouveau, Fabienne. À bientôt.
Espérons, qu’un jour cette grande passion vouée au roi Pele poussera certains de nos jeunes haïtiens, iennes à peaufiner leur technique de football pour atteindre la haute performance et mener une équipe haïtienne à gagner la coupe Jules Rimet de la fédération (FIFA).
Marie, j’espère du fond du cœur que votre éloquent message sera entendu. Merci pour votre visite et à bientôt.