Ce n’est plus un secret pour personne : les personnes noires sont sous-représentées à la télévision québécoise, que ce soit à l’écran ou derrière la caméra. Ce sujet fait l’objet de réflexions et de débats dans les médias et sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années. Or, dans l’espoir de combler en partie la lacune de la télé de la Belle Province, le comédien Frédéric Pierre a pris sa plume pour créer la série Lakay Nou.
Pour ceux et celles qui n’ont pas encore entendu parler de Lakay Nou (Chez nous en langue haïtienne), qui est produite par Productions Jumelage (qui appartient à Frédéric Pîerre), c’est une comédie qui relate les péripéties d’une famille québécoise d’origine haïtienne.
Une communauté qui revient de loin
Je lève mon chapeau à Frédéric Pierre et à tous les autres jeunes Noirs qui font bouger les choses.
Tout en regardant dans le rétroviseur afin d’éviter les obstacles qui se dressaient devant leurs braves aînés, ils et elles agissent et mènent leur communauté vers la réalisation de plusieurs de ses objectifs.
Car, voyez-vous, au début des années 1980, à l’époque où Normand Brathwaite jouait un rôle dans lequel l’Haïtien était folklorisé, les membres de la communauté noire ne pensaient pas qu’un jour ils auraient leur propre série de télé. Ou encore moins leur propre gala de cérémonie de récompense ou leur station de télévision.
Cette semaine, je devais écrire sur la décision du Conseil de sécurité de l’ONU au sujet d’Haïti, mais un lecteur m’a écrit pour me dire que j’ai oblitéré Lakay Nou, la série de télé qui génère plus d’une centaine d’emplois dans la communauté noire.
Fort de ce constat, je me suis arrangé pour que le père de cette série qui est composée de 10 épisodes de 30 minutes m’accorde une entrevue téléphonique.
« C’est un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps, j’ai près de 35 ans de métier, et le moment était bien choisi pour qu’une distribution majoritairement noire crève l’écran dans une comédie », dit Frédéric Pierre, enthousiaste, au bout du fil.
Toutefois, après avoir passé en revue cette riche distribution comptant en son sein des comédiens tels que Catherine Souffront, Mireille Métellus, Fayolle Jean, Yardly Kavanagh, Richardson Zéphir et Erich Preach, j’ai vu mon entrevue prendre une tournure inattendue, à ma profonde stupéfaction.
« Vous savez, j’ai entendu dire que certaines personnes de la communauté ont faussement déclaré que Radio-Canada a donné le feu vert à ma série dans le but de nuire à Natyf TV qui avait entrepris des démarches auprès du CRTC afin d’être admise au sein du forfait de télévision de base au Québec. »
Ah, bon ! Comment peut-on invoquer pareille chose pour expliquer la naissance de votre série télévisée, Frédéric ?
« D’autres informations erronées ont circulé au cours des derniers mois, mais je préfère regarder devant », a répondu Frédéric Pierre, qui se trouvait sur le plateau de tournage de la série Alertes lors de l’entrevue.
Un rêve d’adolescent
Fonceur, visionnaire et dévoué à son art, Frédéric Pierre mise sur ses talents de comédien et d’auteur pour faire rayonner sa communauté dans l’univers du divertissement. En fait, tout le monde peut et doit faire sa part, et selon lui, c’est la raison pour laquelle l’apparition de Natyf TV constitue une bonne nouvelle.
Pour rappel, Natyf TV est une chaîne de télévision francophone qui consacre une bonne partie de sa programmation à la culture noire.
Bien qu’il soit vrai que les grandes chaînes de télévision ont contesté la demande faite par Natyf TV au CRTC de l’inclure parmi les autres, il est faux de dire que Radio-Canada s’est servie de Lakay Nou pour freiner Natyf TV.
Ne mélangeons pas les pommes avec les oranges.
Lakay Nou n’a nullement été utilisée à des fins d’obstructionnisme. Saluons plutôt le travail acharné et l’opiniâtreté de Frédéric, qui a été biberonné au théâtre. Il croyait fermement à son rêve.
Je l’ai également interrogé à propos de son partenariat avec Louis Morissette, qui, en 2016, avait créé un tollé au sein de la communauté noire à cause de son texte « Les Moustiques ».
« Il a fait son mea culpa », a lancé Frédéric, qui s’est aussi assuré de préciser que KOTV, dont fait partie Morissette, est un actionnaire minoritaire dans sa compagnie de production.
Cette réponse ne pouvait être plus simple et claire. Et bien que Louis Morissette ait présenté ses excuses à la communauté noire pour ses dérives insensibles, Frédéric Pierre s’est assis avec lui pour dialectiser sur le concept du privilège blanc, une condition sine qua non de leur partenariat.
Certains diront que le comédien d’origine haïtienne a bâti son succès grâce à son apolitisme. Soit.
Affiche-t-il un comportement je-m’en-foutiste devant les problèmes de sa communauté.
No sé !
Cependant, une chose est certaine : il adopte une approche qui consiste à chercher les issues plutôt que de se focaliser sur les problèmes.
Autrement dit, Frédéric Pierre est le genre de personne qui passe à l’action. Le col bleu qui se retrousse les manches et qui s’implique sur le terrain pendant que d’autres, y compris moi, pensent et philosophent, s’égarant dans le labyrinthe du « pourquoi » au lieu de trouver des solutions.
S’unir plutôt que de se diviser
Alors qu’allons-nous faire, Gens de la Communauté ? Allons-nous ostraciser l’un des nôtres parce qu’il est jumelé à un mentor expérimenté qui ne nous ressemble pas ?
Bien sûr que non !
En toutes circonstances, nous devons nous unir, et non pas nous diviser.
Et je suis convaincu que les rares personnes qui s’indignent contre ce jumelage professionnel prendront le temps pour mieux comprendre la situation.
En 2020, après la publication de mon article intitulé « Les origines et les causes des gangs de rue de la communauté haïtienne de Montréal », un scénariste caucasien m’a contacté dans le but de convertir mes écrits en pornographie de la violence au petit écran ou sur le web. Mon texte serait romancé par des fusils d’assaut AK-47 et des fusillades incessantes.
Ah, stéréotype négatif, quand tu nous tiens !
J’ai décliné la proposition de ce scénariste non pas parce qu’il est Blanc, mais bien parce qu’il a voulu brosser un portrait qui était bien loin de la réalité de ma communauté.
Or, dans le cas de Lakay Nou, c’est réellement chez nous. Ici, dans des contextes diasporiques de nos familles, où la joie, les rires et l’humour nous accompagnent.
Lakay Nou, c’est aussi Angelo Cadet, un membre apprécié des communautés noires, qui a coécrit la série avec Frédéric Pierre et Catherine Souffront.
Pour le moment, il m’est impossible d’évaluer le premier-né de Frédéric Pierre, car sa sortie est prévue pour janvier 2024.
Par contre, je peux dire sans hésiter que la comédie dramatique Lakay Nou va mettre du pikliz dans la télévision québécoise.
Je vous invite à participer à la conversation en laissant un commentaire un peu plus bas sur le site. Merci.