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Finale de la NBA : Haïti, Montréal-Nord et l’hypocrisie des médias


Ce n’est pas un secret que deux jeunes Noirs issus du quartier Montréal-Nord, Lugentz Dort et Bennedict Mathurin, se croiseront en finale de la NBA. Cependant, il est étonnant de constater que les journaux ont annoncé avec tambours et trompettes cette bonne nouvelle en utilisant la formule « joueurs québécois ». Car, voyez-vous, dès qu’il s’agit de nouvelles négatives concernant des membres de la communauté noire, ces derniers font l’objet d’ethnicisation.

Comme on dit, la victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline. 

Les médias et leurs mauvaises habitudes

Par souci de clarté, il convient de préciser que Mathurin et Dort sont bel et bien des produits de la Belle Province, mais là n’est pas la question. 

Disons les choses telles qu’elles sont : si ces deux basketteurs étaient impliqués dans un scandale, ils seraient devenus « des jeunes Haïtiens de Montréal-Nord » pour les médias. 

Cette sempiternelle incohérence m’agace, et à l’évidence, elle cause énormément de problèmes dans la communauté noire. 

Comme preuve de cette hypocrisie médiatique, il suffit de remonter à l’année 1988, aux Jeux olympiques d’été de Séoul.

Ben Johnson, qui avait remporté l’or pour le Canada au 100 mètres, est passé de Canadien à Jamaïcain, lorsqu’il a échoué à un test antidopage, trois jours après sa victoire. 

Les médias du Canada, y compris ceux d’ici, avaient renvoyé l’athlète déchu à sa terre natale, la Jamaïque. 

Des Québécois d’origine haïtienne

Je réitère le fait que Lugentz Dort et Bennedict Mathurin sont Québécois, mais ils sont aussi Haïtiens et ont grandi à Montréal-Nord, un quartier qui est perçu comme folklorique par les médias, en raison de la forte présence de la communauté noire dans sa démographie. 

Deux Québécois d’origine haïtienne, qui se retrouvent en finale de la NBA 2025. 

C’est un rendez-vous historique. 

Et l’occasion est plutôt belle pour montrer à la population québécoise que Dany Laferrière avait raison lorsqu’il a déclaré que « les migrants haïtiens deviendront la richesse du Québec dans moins d’une génération ».

L’écrivain Dany Laferrière

C’est aussi le moment de parler de Montréal-Nord, de ses belles histoires inspirantes, afin d’encourager des jeunes à marcher sur les traces de Bennedict Mathurin et de Lugentz Dort.

L’identité culturelle

Au début des années 2010, Jeremy Lin, un ancien joueur de la NBA, avait suscité un engouement monstre (la Linsanity) en raison de ses origines asiatiques. Né aux États-Unis, de parents taïwanais, Lin a raconté dans une interview comment il détestait que la presse asiatique revienne constamment sur ses origines. 

Quelques années plus tard, après s’être retiré de la vie sportive, Jeremy Lin a fini par comprendre que ce qu’il fuyait était une partie intégrante de sa personne, et que, a-t-il dit, c’est important pour les communautés asiatiques d’avoir un symbole identitaire. 

Or, à l’inverse, Lugentz Dort et Bennedict Mathurin ont embrassé leur rôle de symbole identitaire dès leur première saison dans la NBA. 

Bien qu’ils soient conscients de leur identité québécoise, ils reconnaissent l’importance d’endosser le rôle d’ambassadeur et de défenseur des valeurs haïtiennes et nord-montréalaises. 

Par exemple, à sa première saison avec les Pacers d’Indiana, Mathurin, avec l’aide de son entraîneur, de sa sœur et de sa mère, a fait découvrir à ses coéquipiers la cuisine haïtienne (riz collé, riz djondjon et griot). 

Quant à Dort, lors du premier match de son équipe, le Thunder d’Oklahoma City, il a attiré l’attention du public lorsqu’au dos de son maillot, on pouvait lire « Respekte nou » au lieu de son nom. 

Lugentz Dort

Comme vous pouvez le constater, nous sommes loin des années 1980, l’époque où les Haïtiens, que ce soit à New York ou à Montréal, occultaient leur identité, de peur d’être persécutés. 

Les jeunes d’origine haïtienne d’aujourd’hui n’ont pas froid aux yeux : ils revendiquent de façon permanente leur haïtianité, sans pour autant fuir leur réalité québécoise ou canadienne. 

En fait, ils le reprennent là où l’artiste Wyclef Jean s’est arrêté, et certains médias québécois ont de la difficulté à comprendre ce combat acharné pour le respect de la dignité des Haïtiens. 

Un combat qui nécessite des réflexions qui dépassent la sphère sportive. 


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

1 Commentaire

  1. C’est à nous à dire plus haut qui nous sommes et les inclure dans nos victoires même s’ils font le contraire (l’union fait la force) Il faut pas attendre des autres de nous faire la place dans le vortex, il faut prendre notre place et leur dire qui nous sommes vraiment. Ils vont jamais mettre la lumière sur nous les haïtiens s’il n’en profite pas au maximum, je pense qu’on a même plus besoin d’en parler il faut agir. Le pire c’est qu’ils font la même chose qu’ils dénoncent aux autres nations de faire avec leurs athlètes québécois. Tout fleuri à cause des racines profondes ! Fo nous rassemblé nous pou nous pas coulé tankou pays nous; l’essayer c’est l’adopter !

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