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Le racisme des mulâtres en Haïti : le tabou des tabous


Note aux lectrices et aux lecteurs : dans ce texte, le terme « mulâtre » est utilisé intentionnellement au lieu de « métis », afin de rester fidèle à son usage culturel et historique en Haïti, ainsi qu’à sa portée symbolique dans la langue créole.


L’homme que vous voyez sur l’image mise de l’avant sur ce texte s’appelle Réginald Boulos. Il n’est ni Italien ni Brésilien. Il est Haïtien. Un Haïtien qui, comme bien d’autres, méprise les Haïtiens et les Haïtiennes qui ressemblent à Jovenel Moïse, c’est-à-dire ceux et celles qui ont la peau noire. Bienvenue dans le monde raciste de Pétion-Ville, où certains individus s’installent dans les hauteurs pour mieux cracher sur ce qu’ils appellent le « bas peuple ». 

Parlant du défunt président, nul besoin de chercher midi à quatorze heures, il suffit de dire les choses telles qu’elles sont : les gens d’affaires de la classe mulâtre en Haïti sont en grande partie responsables de la mort de Jovenel Moïse

Le déni du racisme en Haïti

Bien que le nom de Réginald Boulos, qui est médecin et homme d’affaires, soit intimement lié au meurtre de l’ancien président, on ne se transformera pas en Sherlock Holmes en réunissant des preuves afin de résoudre le crime qui est survenu nuitamment le 7 juillet 2021. 

Cet article se penchera plutôt sur la problématique du colorisme et du racisme dans la Première République noire, ainsi que sur notre silence et notre dénégation qui entourent ces sujets. 

Plusieurs d’entre nous, Haïtiens, éprouvent un profond malaise à l’idée d’aborder la question de la discrimination raciale qui sévit sur la terre de Dessalines depuis près de deux siècles. 

« Il n’y a pas de problème de couleur en Haïti, il existe plutôt un problème de classe », affirment avec une complaisance excessive certains Haïtiens à la peau noire, lorsqu’on insiste sur la question. 

Plutôt que d’aller droit au but en dénonçant le racisme systémique haïtien, on se perd dans des sophismes sur le classisme pétionvillois. 

Prenons le cas de la polémique entre Roberto Martino, T-Jo Zenny et Maestro Ritchie, trois figures importantes de l’univers de la musique konpa, communément appelé HMI (Haitian Music Industry). 

Lorsque Maestro Ritchie, en bon Capois qu’il est, a évoqué le racisme pour expliquer le comportement de Martino et de Zenny (deux mulâtres), de nombreux fans noirs lui ont reproché sa « carte raciale », retournant la situation à l’avantage des « oppresseurs ». 

Et je ne serais pas étonné que la première personne à me jeter la pierre pour ce texte ait la même pigmentation que moi. 

À travers les âges, le colorisme s’est faufilé ni vu ni connu dans l’esprit de la société haïtienne. 

Une forme d’apartheid

Mais pourquoi cette cécité volontaire à l’égard du fait que le mulâtrisme a beaucoup nui à l’avancement économique et social d’Haïti ? 

Pourquoi ce système d’omerta qui a été mis en place après la mort de Dessalines est-il si puissant ?

Je suis tenté de vous diriger vers Stockholm pour mieux analyser ce syndrome, mais pour l’instant, je préfère prendre en exemple le passé pas si lointain de Johannesburg. 

En réalité, une explication simple suffit pour décrire le racisme « made in Haiti ». Toutefois il faut être Haïtien pour comprendre la complexité de ce racisme-là. 

Par exemple, il serait difficile pour un étranger de comprendre pourquoi les personnes noires, qui représentent 95 % de la population haïtienne, sont dominées par une minorité composée de mulâtres, d’Arabes, de Blancs, enfin, de tout ce qui n’est pas noir. 

Cela ne vous rappelle-t-il pas l’apartheid de l’Afrique du Sud ? 

Il y a quelques années, un ami m’avait raconté comment il a été désenchanté par son Haïti chérie. Alors qu’il était en visite dans sa terre natale, en 1995, Ronald a été stupéfait que le propriétaire d’un restaurant de Pétion-Ville ait refusé l’entrée à son ami à cause de la couleur de sa peau. 

Malgré des actions revendicatives, le restaurateur raciste leur a fait savoir prosaïquement que « Ti Mari p ap monte, Ti Mari p pap dessann » (pas de changement). Ronald a dû quitter les lieux avec son ami, sous le regard d’un ancien camarade de classe mulâtre, qui a fermé les yeux sur une autre turpitude pétionvilloise. 

Qu’une personne noire subisse le racisme au Canada ou aux États-Unis est une chose, mais qu’elle soit victime du racisme en Haïti en est une autre. 

Là où le bât blesse, c’est que ces discriminations systémiques sont en train de tuer un pays qui est né d’un esprit de fraternité et d’un désir de liberté. 

C’est honteux, car les comportements immoraux de cette minorité très visible ne sont pas conformes aux exigences dessaliniennes. 

Le paradoxe du noirisme et la crise identitaire du mulâtrisme

Ce qui est encore plus troublant, c’est que ces gens-là ont essayé d’instaurer leur culture primitive à Montréal. 

Je me souviens d’une fois où j’étais au restaurant Amir avec un ami, au centre-ville. Heureux de voir un ancien condisciple (un grimo) de l’université, mon ami s’est précipité vers sa table pour le saluer. Puisque ce dernier était entouré d’une armée de mulâtres et de mulâtresses qui semblaient fraîchement débarqués de Pétion-Ville, il a fait semblant de ne pas connaître celui qui l’aidait avec ses travaux scolaires. 

Cet acte de reniement est monnaie courante dans ce milieu incestueux. 

De nombreux grimos, grimelles, mulâtres et mulâtresses se retrouvent souvent dans l’obligation de se cacher pour socialiser, pour aimer. 

Les choses auraient-elles été différentes si les Haïtiens au teint foncé cessaient de croire que les femmes à peau claire étaient les plus belles ? 

Peut-être. 

Peut-être que oui, si la population noire d’Haïti cessait de croire au mensonge du miroir magique de Pétion-Ville, voulant que les personnes noires ne sont pas belles, que la beauté haïtienne se trouve exclusivement dans le mulâtrisme. 

La preuve, deux anciens présidents noirs de la République d’Haïti, François Duvalier et Jean-Bertrand Aristide, qui ont utilisé habilement le noirisme pour régner en maître, ont chacun jeté leur dévolu sur une femme mulâtresse. 

Selon des sources sûres, François Duvalier voulait que ses filles se marient avec des hommes mulâtres. 

Incohérence, quand tu nous tiens ! 

François Duvalier, ancien président de la République d’Haïti

Et même que Jean-Jacques Dessalines… Non, je refuse d’aller là ! Laissons notre héros dans son contexte socio-historique ! 

Pour conclure, il convient de souligner que certaines personnes de la classe mulâtre s’opposent au racisme de leurs pairs, mais leur pensée est atrophiée par la pression sociale et la crainte de représailles. 

Il faut le dire : Haïti souffre d’un grand manque d’estime de soi. D’un côté, les mulâtres font tout pour se rapprocher de leurs pères colons par le mimétisme et l’eugénisme. Et de l’autre, les Noirs vouent une admiration profonde pour les mulâtres, qui les méprisent et les rejettent. 

Comment surmonter ces complexes ? 

En affrontant nos tabous et en faisant l’apologie de l’amour de soi et du patriotisme. C’est ainsi qu’Haïti pourra sortir du coma dans lequel il est plongé.


Note aux lectrices et aux lecteurs : dans ce texte, le terme « mulâtre » est utilisé intentionnellement au lieu de « métis », afin de rester fidèle à son usage culturel et historique en Haïti, ainsi qu’à sa portée symbolique dans la langue créole.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

2 Commentaires

  1. Très vrai! cependant une chose. Que dire de la personne qui est ni noire ni blanche et qui est à la fois noire et blanche. Le racisme des noirs est aussi est présent à l’égard des mulâtres. J’ai épousé un noir et les personnes de sa communauté ont dit : il a épousé une femme blanche….alors que je suis les deux a la fois noire et blanche car je ne peux pas renier mes racines noires ni mes racines blanche. Je pense que pour changer les mentalités il faut développer un système scolaire haitien qui enseignera les réalités haitiennes et les auteurs haitiens parce que depuis 1804 haiti est un pays qui a un drapeau, une cuisine et une culture qui est bien a elle.

  2. Freres, NOIR est l’HAITIEN. Car, a ceux qui n’l’ont su, DESSALINES dixit : POUR ETRE HAITIEN, IL FAUT ERTE NOIR, PEU IMPORTE PIGMENTATION « . KIDONK, MARTINO, RITCHIE ET ZENNY SONT : NOIRS. Mais, de classes, sinon categories, differentes. Car, la peau est NOIR, n’etant EUROPEENS. SOYEZ HAITIENS ET NOIRS….. MECI !

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