
Pierre-Evans est un colosse de 6 pieds 5 pouces et 240 livres. Il travaille comme portier dans un bar branché de Montréal. Rien ne lui fait peur. Pas même le hooliganisme de certains fêtards ivres qui fréquentent son club. Cependant, derrière cette image de gigantisme et de lwijanbojé (qui ne recule devant personne) se cache la vulnérabilité d’un homme qui a grandi sans figure paternelle.
Le cœur de Pierre-Evans est brisé, et il ne parvient pas à sortir de sa dépression. Une tristesse et un sentiment de rejet causés par l’absence de son père dans sa vie l’accompagnent un peu partout.
Blessure du rejet et de l’abandon
Que ce soit sur les lieux de travail, à la salle d’entraînement ou chez son barbier, il raconte à qui veut l’entendre comment le fait d’avoir été oblitéré par son papa affecte sa vie d’adulte.


« Il y a quatre ans, je l’ai appelé, et il m’a demandé où j’ai trouvé son numéro de téléphone, et sans même attendre que je lui réponde, il a raccroché », m’a-t-il dit avec émotion, en plein cœur des Cours Mont-Royal, au centre-ville.
Le jeune quadragénaire avait tant à dire sur son sentiment de vide intérieur qu’il m’a proposé d’aller dans un Starbucks, où il a dévoilé dans toute leur nudité ses douleurs, ses peurs et ses faiblesses.
Il a commencé par me dire qu’il avait passé sa jeunesse à essayer de découvrir le pourquoi du comment du refus d’implication de son père dans sa vie. Personne n’osait aborder ce sujet dans sa famille, mais la sœur aînée de sa mère a « brisé le tabou » de manière malveillante.
« Un jour, à l’âge de huit ans, alors que j’étais au centre d’achat avec ma tante, je courais un peu partout et je ne l’écoutais pas. Pour se venger de ma désobéissance, elle m’a dit que c’était justement à cause de mon comportement turbulent que mon père ne voulait pas me voir », a dévoilé le gentil géant, qui porte encore les séquelles de la méchanceté de sa tante.
Ce qui l’a le plus marqué, c’est que son père ait brillé par son absence à sa première communion, à sa confirmation ainsi qu’à sa cérémonie de remise de diplôme d’études secondaires, malgré les promesses faites.
Or, pour Pierre-Evans, qui a obtenu un DEC en Techniques de l’informatique, ces nombreux « no-show » ont eu un effet dévastateur sur tous les aspects de sa vie, notamment sur sa confiance en soi et sur son estime de soi.
La preuve, l’an dernier, par crainte de revivre les fausses promesses de présence de son père, il a refusé la demande en mariage de sa douce moitié, une Martiniquaise, avec qui il vit depuis longtemps.


Quand l’adultère devient bien plus qu’une tromperie
Mais comment tout cela a-t-il commencé et quelles étaient, alors, les motivations de ce père fantomatique ?
L’histoire de Pierre-Evans a commencé au milieu des années 1980, dans le quartier Saint-Michel. Sa mère était tombée sous le charme d’Emmanuel (nom fictif), un homme marié d’origine haïtienne, qui avait juré de déserter sa femme, car son mariage traversait une « crise ».
Un grand classique du monde de l’adultère et de la tromperie.
C’était la deuxième fois que la mère de Pierre-Evans se laissait prendre au piège de l’homme marié qui déchirerait son certificat de mariage. La première fois, le monsieur lui avait même promis la lune, mais a plutôt laissé comme héritage un enfant : la sœur de Pierre-Evans, une ancienne camarade de classe.
Il faut dire qu’à cette époque (et c’est peut-être encore le cas aujourd’hui), certains hommes, que ce soit dans la communauté haïtienne ou autres, croyaient qu’il leur fallait à tout prix prendre des maîtresses pour affirmer leur virilité, leur masculinité. Cette croyance s’est transmise de génération en génération, et les enfants adultérins ont beaucoup souffert de cette turpitude.
Pour Pierre-Evans, revisiter les circonstances ayant mené à sa naissance ne l’intéresse pas. Il précise qu’il ne peut modifier le passé de sa mère, mais qu’il peut changer l’avenir, et cela passe par une réconciliation avec son papa.
Contrairement à sa sœur, qui a effacé le mot « père » de son vocabulaire, Pierre-Evans persiste. Il veut voir son père. Être son ami et faire des activités avec lui.

Malgré ses blessures psychologiques découlant de l’abandon et du rejet, Pierre-Evans voue un amour inconditionnel à son père. Comme preuve de cette loyauté indéfectible, il ne permet à quiconque, y compris sa mère, de commenter sa situation en disant des choses négatives sur son père.
Ce n’est pas un cas isolé
Chaque fois que son téléphone sonne, il s’empresse de répondre, en espérant entendre la voix de son père au bout du fil.
« Je pense à lui constamment, en dépit du fait qu’il m’ait interdit de le contacter. Certaines personnes pensent que je devrais faire une croix sur cette histoire, et d’autres, en revanche, m’encouragent de continuer à frapper à la porte.
« De l’avis d’un des proches de mon père, le problème se situe chez sa femme, qui déplore le fait que je sois celui qui lui ressemble parmi ses enfants. Elle a même convaincu à ses trois filles de m’ignorer en leur faisant croire que ma motivation à rencontrer mon père est purement liée à l’argent », a-t-il dit, d’une voix triste et plaintive.
« Parfois, je n’ai plus le goût de vivre. »
Après avoir lâché ces mots terrifiants, Pierre-Evans a jeté un coup d’œil à son cellulaire Samsung, et il s’est rendu compte qu’il devait partir pour ne pas être en retard à son rendez-vous avec son psychiatre.
En réalité, Pierre-Evans n’est pas seul, c’est-à-dire que son histoire n’est pas unique.
Au Québec, comme partout ailleurs, le nombre de familles monoparentales ne cesse de croître, et, comme Pierre-Evans, plusieurs d’entre nous souffrent d’un sentiment d’insécurité et ont développé un besoin de validation, à cause de l’abandon paternel.
Une réflexion sur ce sujet est nécessaire.
La semaine dernière, le colosse de Saint-Michel m’a appelé pour m’annoncer le décès de son père. Après m’avoir suggéré de raconter son histoire, il s’est assuré de me dire que son père est mort, mais que sa blessure de rejet ne mourra jamais.
Houston, ou plutôt, Docteur, nous avons un problème !
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1 Commentaire
Thanks for this piece. I can tell you the issue is in all Black households across the western diaspora. The Father Wound as it’s called runs deep in many of us, myself included for a time. My program 100Strong.ca helps Black boys in the GTA and there is a Black Daddies Club to help as well. I would love to work with you on having these conversations with boys and men. It’s needed. Let’s talk.