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Carimas : le carnaval de Montréal ne peut survivre sans une forte implication des Haïtiens


Disons-nous les vraies choses si nous souhaitons aller plus loin. Le carnaval antillais de 2025 s’est bien déroulé : les gens se sont amusés en chantant et en dansant. Cependant, l’infime quantité de chars et de carnavaliers qui ont pris part au défilé donnait au carnaval des allures d’un corps sans âme. D’un corps maintenu en vie artificiellement. 

Avant de poursuivre, saluons le travail effectué par les membres de l’équipe de Carimas, notamment Cynthia Waithe et plusieurs autres, qui offrent aux Montréalais l’espoir de revivre les plus belles années du carnaval des Antilles. 

Ils font ce qu’ils peuvent, avec un financement dérisoire provenant de la Ville de Montréal. 

La déception de la communauté haïtienne

Cela dit, j’ai décidé de rédiger ce texte après que plusieurs personnes de la communauté haïtienne m’ont contacté soit par téléphone ou en privé dans les réseaux sociaux pour fustiger l’absence d’Haïtiens au comité chargé de l’organisation du carnaval. 

Certains, qui ne manquent jamais ce rendez-vous annuel, ont déclaré que les Haïtiens étaient délaissés par l’équipe du Carimas, car ils n’ont pas été mis au courant de la date du carnaval. 

« Les Noirs anglophones pensent qu’ils sont les seuls Caraïbéens vivant à Montréal », m’a confié un lecteur, visiblement déçu que la communauté haïtienne ne soit pas représentée dans l’administration de Carimas. 

Malhereusement, je dois avouer que, en ce qui concerne l’histoire des Haïtiens, il existe chez les Antillais anglophones une confusion, que l’on peut considérer comme un euphémisme pour une ignorance quasi totale de la première République noire. 

Mais, pour l’instant, mettons de côté le politique, l’histoire, la géographie et les autres éléments qui ne font que nourrir le « tribalisme » qui affecte la cohésion entre les communautés noires. 

Concentrons-nous plutôt sur la pérennité du carnaval caraïbéen des Montréalais en posant des questions judicieuses. 

Par exemple, comment est-ce possible qu’au début des années 1980, malrgé le fait que le Québec ne dépassait pas le cap des 100 000 habitants issus des Caraïbes, le défilé du carnaval caraïbéen attirait des centaines de milliers de personnes annuellement ? 

Qu’est-ce qui a changé après 40 ans ? 

Les belles années du carnaval antillais de Montréal

Pour mettre les belles années du carnaval antillais en contexte, bon an, mal an, le défilé durait au moins six heures. Six heures d’ambiance chaleureuse, d’esprit de joie et de liberté.

Ce n’était pas pour rien que les Afro-Montréalais avaient surnommé leur carnaval « Jump Up ».

Souvent, le rara haïtien se mêlait aux cortèges musicaux, ce qui garantissait l’unicité du Carifiesta.

L’un de mes plus beaux souvenirs, c’est lorsque le défilé commençait à l’intersection des avenues Atwater et Dorchester et se terminait au parc Lafontaine, dans un parcours d’environ 7 kilomètres. 

On ne voyait pas le temps passer, car il y avait des dizaines de chars qui nous tenaient occupés. 

La diaspora antillaise éparpillée à travers l’Amérique du Nord débarquait sur Montréal, et l’esprit festif s’emparait de la ville. 

Je me souviens que des gens de Toronto et de Boston disaient que Montréal savait comment faire la fête, et que notre carnaval avait ce je-ne-sais-quoi. 

Ce n’est pas rien. 

De nombreux événements soulignaient ce week-end carnavalesque, qu’il s’agisse des soirées de Fitz & Fabian, de Keith & Karyn ou de Rickey D & Shaheed, dans les années 1990. 

Pourquoi je vous raconte tout cela ? 

Pour vous faire prendre conscience que durant les années 1980, la communauté haïtienne représentait à elle seule plus de la moitié des participants du défilé et des événements relatifs au carnaval. 

Mythes et préjugés sur la communauté haïtienne

Durant les années 2000, cette proportion avait quintuplé, et aujourd’hui, les chiffres sont révélateurs : parmi les 180 000 individus d’origine antillaise qui vivent au Québec, 150 000 sont d’origine haïtienne. 

La communauté jamaïcaine suit avec 13 000, et les communautés barbadienne et trinidadienne, respectivement avec 6000 et 5 500 personnes. 

Dans ce cas, n’est-il pas logique de penser que la survie du carnaval antillais de Montréal dépend des Haïtiens ? 

Je crois que oui. Surtout que le carnaval occupe une place centrale dans le cœur des Haïtiens. D’ailleurs, durant les années 1970, certains organismes de tourisme considéraient Haïti comme la meilleure destination carnavalesque. 

Il est temps que les idées préconçues et les préjugés sur la communauté haïtienne tombent.

Voyez-vous, les Haïtiens, qui étaient perçus comme des « boat people » par plusieurs, ont depuis longtemps débarqué du bateau et sont même devenus capitaines du navire de l’État. 

Je pense à Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada, et à Dominique Anglade, ancienne ministre et cheffe du Parti libéral du Québec. 

Au moment d’écrire ces lignes, cinq des centaines d’élus du fédéral et du provincial sont issus de la communauté haïtienne. Sans oublier ceux et celles du municipal. 

Je pense également à Lugentz Dort et à Bennedict Mathurin, deux Montréalais d’origine haïtienne, qui se sont affrontés en finale de la NBA. Ne pensez-vous pas que la présence de ces deux athlètes reconnus mondialement aurait suscité l’intérêt et attiré beaucoup de monde ? 

Enfin, je réitère ma confiance à l’égard des organisateurs de Carimas, mais je crois qu’ils doivent se rendre compte d’une réalité : outre son poids démographique et politique, la communauté haïtienne chérit le carnaval autant que les Trinidadiens, les Guyanais ou les Barbadiens. 

De ce fait, une attention particulière doit être accordée à la promotion du Carimas dans la diaspora haïtienne.

J’ajouterais même que l’équipe du Carimas aurait aussi intérêt à tisser des liens avec les communautés africaines, afin d’attirer le plus grand nombre de personnes. C’est ainsi que l’engouement pour le carnaval resurgira. 

Et ce serait une belle preuve d’unité, de détermination et de vivre-ensemble. 


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

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