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Les Grenadiers, le vaudou, le protestantisme et le déni haïtien


Après avoir fait un pas en avant à la suite de la qualification d’Haïti pour la Coupe du monde de la FIFA 2026, l’unité haïtienne semble vouloir reculer : le dévoilement des maillots des Grenadiers, révélant la présence de « vèvè », des dessins symboliques liés au vaudou, sème la panique chez les Haïtiens de confession évangélique. Or, l’ironie de la chose, c’est que, dans le pays de Dessalines, le football est considéré comme une religion ayant la capacité de rassembler tout le monde.

Mais, comme Giordany Joseph, ancien chanteur de l’Orchestre Tropicana d’Haïti, l’a si bien dit, « menm pou jwe yon match foutbòl se sipèstysion », c’est-à-dire que, même dans un match de football, on prête foi aux superstitions.

C’est connu de tous, dans le monde du sport, les croyances superstitieuses et les rituels conjuratoires jouent un rôle particulier. Mais en ce qui concerne les maillots de la sélection haïtienne, qui arborent des vèvè, il ne s’agit pas d’affirmation mystique, mais plutôt de l’émergence d’un mouvement révolutionnaire.

La diabolisation du vaudou

Il s’agit d’une révolution mentale qui saura effacer les empreintes coloniales dans l’imaginaire collectif.

Autrement dit, la sélection haïtienne se servira de la Coupe du monde comme vitrine pour faire sortir le vaudou de la clandestinité.

Oui, osons dire que le Vatican et le protestantisme ont tout essayé pour réduire, voire éradiquer ce culte, qui représentait une force spirituelle pour les esclaves à travers les Amériques, que ce soit en Haïti, en Jamaïque ou en Louisiane.

Et malheureusement, plusieurs d’entre nous, Haïtiens, sont tombés dans ce piège occidental.

Combien d’Haïtiens ont-ils renié leur patrie ou dénigré leur culture en raison de la diabolisation du vaudou ?

Beaucoup.

Combien de fois avons-nous vu Hollywood ridiculiser le peuple haïtien en associant le vaudou à des sorciers ou encore à des poupées ayant des pouvoirs maléfiques dans les films ?

Très souvent.

Assurément, la diabolisation du vaudou est à la base de la division des Haïtiens, qui ne s’entendent pas sur le design du maillot de leur équipe, qui sera vu par des centaines de millions de téléspectateurs à l’été 2026.

Les Occidentaux définissent le vaudou haïtien comme de la magie noire, et nous les croyons, au grand dam de Jean-Jacque Dessalines, de Toussaint Louverture et de Capois-la-Mort, qui doivent se retourner dans leur tombe.

En réalité, ce ne sont pas tant les effets de la supposée magie noire que redoutent les Occidentaux, mais bien l’émancipation de la pensée noire, qui inciterait le monde à penser Noir.

Le rôle du vaudou dans l’indépendance d’Haïti

Qu’en est-il donc de cette religion que tant d’Haïtiens renient et que tant d’Occidentaux stigmatisent ?

Issu des cultes animistes africains, le vaudou est originaire de l’ancien royaume de Dahomey, en Afrique de l’Ouest. Durant la traite négrière, il s’est répandu dans les Caraïbes. La cérémonie du Bois-Caïman, en 1791, représente l’acte de naissance du vaudou haïtien, et le catalyseur du soulèvement des esclaves. D’ailleurs, Jean Price-Mars, ethnologue et philosophe haïtien, déclara : « 1804 est issue du vaudou ».

Si nous voulons grandir en tant que peuple, nous ne pouvons persister dans le déni : que nous le voulions ou non, nous, les Haïtiens, sommes vaudouisants malgré nous. Le vaudou, qui est aussi une culture, se manifeste dans notre musique, nos histoires et nos mythes.

Reconnaissons ce fait : nous avons pu vaincre les colons grâce au vaudou.

Toutefois, je tiens à préciser que je comprends les évangéliques protestants d’origine haïtienne qui s’inquiètent de la présence de vèvè sur les maillots des Grenadiers.

Pour la plupart d’entre eux, depuis l’enfance, la foi chrétienne a pris le dessus sur le patriotisme.

Certains pasteurs leur ont fait croire qu’il est possible d’aimer son pays, mais que cet amour ne doit pas dépasser celui qu’on a pour Dieu.

La vérité, c’est que les Haïtiens sont très loyaux, et les pasteurs haïtiens le savent bien. Ils savent également que, pour l’Haïtien croyant, la Parole de Dieu n’a pas de prix, ce qui, par conséquent, pousse des fidèles à faire passer les intérêts de leur église avant les intérêts collectifs, ou même personnels.

L’épée Legba de Dany Laferrière

Il ne me revient pas de dire si les protestants haïtiens ont raison ou non de vouloir boycotter leur sélection nationale en raison de cette histoire de vèvè, car je respecte toutes les religions, et encore plus les adepetes de celles-ci.

Cependant, je me permets de poser la question suivante : ces fidèles-là ont-ils cessé de lire Dany Laferrière après son discours de réception lorsqu’il a fait son entrée à l’Académie française, en 2015 ?

Petit rappel : Dany a donné le ton à son discours de réception en invoquant Legba, le populaire dieu vaudou. Non seulement Legba était omniprésent dans son discours, mais le vèvè de celui-ci a été gravé sur l’épée d’académicien de l’écrivain haïtiano-québécois.

Si nous avons accepté que Dany Laferrière honore le vaudou haïtien à l’Académie française, pourquoi refuserions-nous que les joueurs de la sélection haïtienne portent fièrement leurs maillots ornés de vèvè ?

Pour conclure, je réitère ma sympathie pour les catholiques et les protestants qui trouvent les maillots des Grenadiers offensants, mais j’appuie néanmoins l’idée que les vèvè puissent fouler les pelouses de la Coupe du monde de football 2026.

Car placer le vaudou, qui est étroitement lié à l’identité historique et culturelle de la Première République noire, sur le devant de la scène internationale constitue un grand pas vers la décolonisation mentale.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

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